La quasi totalité des
humains adultes ne savent pas caresser. Ils confondent caresses et
cul. En bientôt 65 ans de vie, je n'ai rencontré que deux fois des personnes sachant caresser.
Peut-être trois fois, mais pas plus, l'ignorance est quasi générale.
Pour parvenir à caresser
quelqu'un c'est toute une philosophie et un entraînement pratique.
Il faut chercher impérativement à donner et pas chercher à
prendre. La plupart des humains cherchent à prendre. Et leurs
caresses sont quelconques, médiocres, défectueuses. Le vrai toucher
ne s'apprend pas dans les livres. L'égoïsme tue la caresse
véritable. J'ai aperçu deux jeunes filles qui savaient caresser la
peau de leur compagnon. Une fois, c'était un soir tard dans un
autobus parisien de la ligne 38. Un groupe de très jeunes touristes
italiens. Parmi eux, un couple. Je voyais bien que la fille avait le
toucher spécial, que je reconnais bien. Il est très loin d'être
certain que le grand dadais passif ainsi servi se rendait compte du
caractère exceptionnel de sa copine.
L'autre fois, c'était
dans un concert. Une jeune fille et son copain était dans la salle.
Elle lui faisait de petites caresses. Je percevais parfaitement bien
de quel toucher exceptionnel cette fille usait. À
la différence de l'Italienne de l'autobus, croisée un soir, cette
fille, je sais qui c'est. Avant-hier matin, Je croisais encore son
père dans la rue près de chez moi. Mais je n'ai rien à dire à
cette fille. Lui dirais-je : « mademoiselle, vous avez un
toucher rarissime, exceptionnel... » j'aurais l'air plutôt
bête. Elle pourrait se demander : « mais, qu'est-ce qu'il me
veut celui-là ? » Surtout que depuis le jour où je la vis
avec son copain, elle a très bien pu abandonner ce toucher.
Ce toucher unique et
particulier, je l'ai cultivé durant des années. Mais il n'a guère
d'usage pour moi.
C'est au milieu des
années 1980 que j'ai découvert ce toucher grâce à une petite
amie. Qui, elle-même, ignorait sa singularité. Elle m'a fait
incidemment sentir ce toucher. Puis ne l'a plus pratiqué avec moi.
Reprenant avec moi le toucher quelconque habituel, en usage chez la
plupart des personnes adultes. Quand j'ai pratiqué ce toucher sur son dos,
elle l'a trouvé effrayant, car trop emportant les barrières de
tension habituelle que les humains mettent entre eux et à
l'intérieur d'eux. J'ai mis deux ans pour identifier ce toucher
spécial. Pour l'apprécier, j'ai dû le pratiquer durant un peu plus
d'un an avec une petite amie. Chose que je ne recommencerais pas avec
quelqu'un d'autre. Car passer son temps à donner sans recevoir est
malsain, déséquilibré et dangereux.
Si on veut vraiment
faire quelque chose, il faut être présent à ce qu'on fait. Et se situer
moralement dans l'instant présent. Mais chez la plupart des gens,
outre la maladresse et l'inexpérience, s'ils veulent toucher
quelqu'un, ils sont absents. C'est-à-dire qu'au lieu de caresser
l'autre, ils se situent dans une perspective théorique. « Si
l'autre accepte ma main là de cette manière, après je la mettrais
là, et puis là. Et, enfin, je mettrais ma queue dans le trou. »
Tel est le délire intérieur de nombre d'hommes. Les femmes pensant
de leur côté : « Et, enfin, j'accepterais qu'il mette sa
queue dans mon trou. » C'est une démarche à l'opposé de la
volonté de vivre l'instant présent. On se situe dans l'instant
d'après. On n'est pas là. Il ne s'agit pas d'un échange, mais d'un
challenge, une compétition, un défi, ce que vous voudrez. Mais pas
d'une caresse. Comme disent certains : « à un moment-donné,
il faut se décider à passer aux choses sérieuses. » C'est
tellement programmé qu'on n'a l'impression qu'à un moment de la
soirée, la nuit, l'après-midi ou la matinée de câlins, on arrête
soudain la spontanéité. Et on met en place le « programme
coït ». Bon, à présent, il faut s'assurer que le machin est
assez rigide et le mettre dans le trou. On croirait la réalisation
d'une recette de cuisine : battez les blancs d’œufs en neige, incorporez-les
dans la pâte, etc. Et on espère qu'à l'issue le gâteau sera
réussi. Tant de médiocrité intéressée dans la démarche câline
conduit forcément tôt ou tard à l'échec et la déception.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 6 décembre 2015
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