A
partir d'un certain âge, quantité de gens voient qu'en cherchant
l'amour ils ont récolté ou récoltent le plus souvent de la
souffrance. Que leurs mauvaises expériences les amènent à avoir
des peurs dès qu'il pense s'agir d'amour. Qu'ils craignent de ne pas rester libre. En résumé : ils ont perdu la confiance en eux. Et il leur manque l'amour. Mais celui-ci leur apparaît piégé. Ils pensent à la responsabilité de cette calamiteuse situation. C'est, au
choix : le manque de chance, le poids de l'éducation, la faute à
l'autre, à l'autre sexe, à la bêtise humaine, etc. Toutes ces
explications ne donnant pas pour autant une clé pour améliorer la
situation, mais enfonçant plutôt le moral.
Les
mots eux-mêmes sont piégés. Ainsi prétendre vivre l'amour
librement a pour sens de se vautrer dans l'orgie. Dès qu'on remet en
cause des règles existantes, on entend souvent le cri du cœur :
« je ne fais pas n'importe quoi ! » Sous-entendu qu'on
n'aurait le choix qu'entre le conformisme étroit et le délire le
plus complet. Et avec ça, le mensonge et la manipulation règnent.
Échapper
au désastre général exige de se remettre en question. Et pour cela
d'identifier les pièges sur le chemin de « l'amour », ou
tout au moins de sa recherche.
Il
me semble qu'il y en a cinq principaux : l'ivresse sentimentale,
l'ivresse tactile, l'ivresse sexuelle, l'amour isolé et l'amour
enfermé. Je vais à présent les détailler ici.
On
parle souvent de l'ivresse alcoolique, de la toxicomanie en général.
Du plaisir qu'on en retire et des inconvénients qu'elle entraîne.
L'homme peut s'auto-souler avec une substance qu'il produit lui-même
: ses endorphines. L'ivresse endorphinique peut avoir les
conséquences les plus dramatiques. Quand on se gargarise avec un
amour passionnel, on est drogué. Les effets ressemblent à
ceux obtenus avec des drogues artificielles. On perd son sens
critique, on exagère les qualités de l'autre, on se croit
indispensable à lui ou à elle, alors qu'en fait on en est devenu
dépendant. Quand j'ai vécu ce genre de dérèglement, l'objet de
mes illusions, la source de mes shoots d'endorphines m'apparaissait
comme quelqu'un de formidable, alors qu'elle était tout à fait
ordinaire. Sa beauté je l'imaginais et la voyais, alors qu'à un
moment-donné elle était devenue obèse. La sagesse populaire a
résumé ce genre de déformation de la vision : « l'amour rend
aveugle ». Je m'imaginais ne pas pouvoir vivre sans la source
de mon auto-droguage. Je me souviens dans un restaurant comment je
me délectais de sa vue cependant qu'une petite voix intérieure me
rappelait à l'ordre : « arrêtes de la regarder comme ça ! »
J'étais
ivre. C'est bien agréable. Mais se bourrer la gueule, est-ce que
c'est un but dans la vie ? Et, attention aux lendemains de cuite, aux
atterrissages ! Le sevrage brusque causé par la rupture conduit
chaque année des dizaines de millions d'hommes et de femmes au
suicide. De pas grand chose on fait une montagne. Et le jour où on
le perd, on n'est plus rien, on perd le goût de vivre. Il vaut mieux
éviter de se saouler.
L'ivresse
sentimentale n'est pas la seule. Il existe également deux autres
ivresses au moins. L'ivresse tactile est causée à l'occasion par
des caresses. J'ai connu par deux fois ce genre d'état déficient.
Une fois j'étais allongé sur mon lit, l'objet de mes rêves s'était
allongée sur moi. Nous étions habillés. Je lui ai un peu caressé
un sein, et voilà que « je ne me suis jamais aussi bien
senti ». En fait j'avais un coup dans le nez ! L'autre fois,
c'était au lit avec ma copine de l'époque qui m'a caressé le dos
et je ne n'ai jamais senti une caresse plus agréable. Au point d'en
brosser des théories par la suite ! J'avais vidé une bouteille
d'endorphines... Il m'a fallu vingt-sept années pour laisser tomber
cette dangereuse illusion. Non, il n'existe pas une terre promise des
câlins. Les câlins ne sont pas si importants que ça. On peut
parfaitement s'en passer.
La
troisième ivresse que je passerais ici en revue est l'ivresse
sexuelle. Il peut arriver que subitement un acte sexuel quelconque
dégage une surcharge d'endorphines et une brève ivresse intense.
N'identifiant pas la nature du phénomène - on s'est incidemment
« bourré la gueule » aux endorphines, - on cherchera à
« retrouver » cet instant délicieux et fulgurant. Et
plus on le cherchera, moins on le trouvera. J'ai connu ainsi un homme
qui recherchait depuis des dizaines d'années ce qu'il avait ressenti
avec sa petite copine quand il avait dix-huit ans. Il était bien sûr
systématiquement insatisfait. Car rechercher par le raisonnement de
parvenir à un état de soulerie est un non sens. Mais si ces
ivresses sentimentale, tactile ou sexuelle sont des plus agréables
sur le coup, que de dégâts elles occasionnent ensuite dans la vie !
Si on n'a pas la prétention de réduire notre vie à l'alcoolisme,
il faut raisonnablement se détourner de l'ébriété endorphinique,
après l'avoir identifié pour ce à quoi elle se résume : un
surcroit d'endorphines provoqué par des circonstances données.
L'amour
isolé et l'amour enfermé sont deux autres obstacles à
l'épanouissement humain. Comme on se sent dramatiquement en manque
d'amour, de caresses, de sexe, le jour où on pense avoir rencontré
la bonne personne, on tend à s'isoler avec. On voit moins les
amis, on s'enferme avec l'autre dans des activités à deux, un
logement commun... et on arrête de vivre pour se
gargariser.
L'étape qui suit cet auto-isolement est l'auto-enfermement. On s'organise des motifs pour croire qu'il est impossible de sortir de cet isolement. Certains chercheront à avoir des enfants pour verrouiller leur union. Pauvres enfants réduits au rôle de « ciment » de « l'union » des parents ! Qui peuvent aussi se croire enfermés dans leur isolement par « l'officialisation » de leur concubinage !
L'étape qui suit cet auto-isolement est l'auto-enfermement. On s'organise des motifs pour croire qu'il est impossible de sortir de cet isolement. Certains chercheront à avoir des enfants pour verrouiller leur union. Pauvres enfants réduits au rôle de « ciment » de « l'union » des parents ! Qui peuvent aussi se croire enfermés dans leur isolement par « l'officialisation » de leur concubinage !
Le
jour où le rideau des illusions se déchire, ça peut faire très
mal ! Et pourtant, si on sait reconnaître les obstacles, les pièges,
il est facile de les éviter ! Si vous commencez à délirer à
propos de quelqu'un, arrêtez de boire !
Évitez
de vous isoler si quelqu'un vous plaît et de vous enfermer avec.
C'est tout à fait possible à condition d'avoir conscience des
pièges qui existent. Et alors on retrouve la confiance. Non pas la
confiance aveugle et suicidaire dans « l'autre », mais la
seule vraie confiance : la confiance en soi-même et dans la vie.
« Donner
sa confiance » : mais il n'y a rien à donner ! Il suffit
d'être. Et clairement tracer les limites aux autres. Ce n'est
pas si difficile si on sait ce qu'on veut et on annonce clairement aux autres ces limites fixées par nous. On amènera les autres à
s'incliner ou passer leur chemin. Et c'est tant mieux.
Comme
je goute aujourd'hui ma belle solitude et mes lendemains prometteurs.
A condition de savoir où mettre les pieds, le chemin est toujours
fleuri et verdoyant ! Certes, on me fera remarquer qu'il est dur de
renoncer à de belles choses, fussent elles de beaux pièges ou de
belles illusions. C'est vrai, c'est difficile. De même que renoncer
à boire est difficile à l'ivrogne. Et continuer à boire paraît
plus facile. Chacun ses choix, certains ne renoncent pas. D'autres
renoncent. Mais renoncer à des illusions, c'est prendre le risque de
l'authenticité. N'est-elle pas infiniment préférable à l'illusion
?
Les
illusions ne sont pas le seul obstacle sur le chemin de la confiance.
Mais c'est le plus perfide. Car il nous désarme, nous livre, nous
déstabilise. La remise en question des illusions est le premier pas
vers la confiance retrouvée. Condition nécessaire pour trouver
enfin l'expression d'un amour équilibré et non d'un sentiment
déstabilisant. Certains croient que la peur, la souffrance, la
fuite, la déception, le désespoir, voire la folie et le suicide,
sont inhérents à l'amour. En fait, ils sont plus ou moins inhérents
à ce que nous croyons à tort être la recherche de l'amour. Et qui
n'est qu'une traître et triste caricature. Si l'amour vous fait
peur, déçoit, fait souffrir, désespère, rend fou, donne envie
d'en finir, ce n'est pas l'amour. C'est autre chose. Qu'il importe
absolument de rejeter pour avancer.
Basile,
philosophe naïf, Paris le 28 décembre 2015
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