L'évolution de la
société où nous vivons est soulignée par moments par de quasi
imperceptibles modifications qu'il faut avoir la présence d'esprit
de remarquer. En 1961, en feuilletant une revue soviétique,
« Ogoniok », ce qui veut dire en russe « petite
flamme », une photo en noir et blanc nous a frappé. Prise dans
un parc en Russie, elle montrait un jeune homme assis sur un banc
auprès d'une poussette avec un bébé. Et aucune femme à son côté
! C'était visiblement un homme qui veillait seul ici sur un petit
enfant ! C'était proprement incroyable ! Surréaliste ! A Paris,
voir une pareille chose aurait été invraisemblable ! A croire que
cette photo avait été truquée, posée spécialement pour nous
faire croire à une telle façon irréelle de vivre ! Mais pourtant,
mon frère aîné ayant visité la Russie en 1961 nous a confirmé
l'incroyable : oui, il y avait effectivement en Russie dans les parcs
des jeunes hommes s'occupant seuls de leur bébé ! A l'époque nous
disions : « en Union soviétique », et pas « en
Russie ». Mais il s'agissait bien de la Russie. Aujourd'hui
voir un homme à Paris accompagnant seul un petit enfant ne surprend
personne. Mais du temps a passé depuis 1961.
En 1977, je remontais la
rue des Thermopyles, dans le quatorzième arrondissement de Paris.
J'ai dépassé deux jeunes gens. Et me suis retourné stupéfait par
ce que je venais de voir. Le jeune homme portait un bébé avec un
harnais ventral. C'était totalement inhabituel et extrêmement
bizarre. A présent c'est courant. Il y a quelques années à Paris
je voyais dans un des jardins de l'Observatoire une jeune fille
proposer à son copain de s'asseoir sur ses genoux. Il refusait. A
quelques temps de là j'observais une scène quasi similaire. Sauf
que le jeune homme s'asseyait sur les genoux de la jeune fille. Et
l'instant d'après se relevait prestement en riant franchement de la
bonne blague qu'il venait de faire ! Il était impensable qu'un jeune
homme s'asseye sur les genoux d'une jeune fille. Ça faisait
soumission, bébé... Inversement et depuis bien des années il était
courant de voir une jeune fille s'asseoir sur les genoux d'un jeune
homme. Là également les mœurs ont évolué. Il y a deux ou trois
jours je m'en faisais la réflexion, observant un jeune homme qui,
sans problème, s'était assis dans le métro sur les genoux de sa
copine. Les mœurs évoluent, changent, pas toujours en bien. Et
notre monde n'est pas forcément comme nous pourrions le croire.
Ainsi, je me disais récemment : il n'est pas étonnant que les
jolies filles ne s'intéressent pas à moi, étant donné que je suis
pour elles vieux, moche, pauvre et mal logé. Mais voilà que je
parle avec un ami. Il est jeune, beau, plutôt riche, a un bel
appartement, etc. Bref, a tout ce qui me manque. Il est de plus
cultivé, intelligent, généreux, a le sens de l'humour, un travail
passionnant et qu'il adore. On imaginerait alors que les femmes
l'adorent ? Pas du tout, il est maltraité pareil que s'il était
vieux, moche, pauvre et mal logé. S'il offre quelque chose, ce n'est
jamais assez bien, etc. Tout ceci pour dire que finalement je pense
que quand on a l'impression d'être boycotté par les jolies filles,
ça n'est pas forcément toujours simplement parce qu'on a des
problèmes, des manques ou des handicaps. Mais ça peut être aussi
parce qu'elles ont des problèmes.
Certains hommes vont
« jouer les atouts de même couleur » et se proclamer
homosexuel. C'est leur droit. Par contre, ce qui me frappe c'est la
recherche frénétique de la « reconnaissance sociale »
par certains d'entre eux. Au lieu de simplement vivre la vie qu'ils
ont choisi, il leur faut brandir leur qualité. Et accéder à une
reconnaissance de celle-ci. Pour cela, notamment, faire une
déclaration solennelle de leur homosexualité, comme si ça
concernait tout l'entourage et au delà. Moi, comme je dis, la
démarche sexuelle de mes voisins, par exemple, m'importe peu. Il
m'importe infiniment plus qu'ils ne soient pas bruyants la nuit. Qui
dit « reconnaissance sociale » dit pression sociale. Être
agréé par son entourage dans ses choix intimes n'est pas dépourvu
de risques. Ainsi, ayant proclamé haut et fort notre union, une amie
et moi, plusieurs années après nous nous séparions. Et bien
l'agrément approbatif - pas toujours complètement sincère, - de
notre entourage, a certainement contribué à rendre cette rupture
plus pénible encore. Car au lieu de nous concerner seulement nous
elle prenait une dimension collective et sociale.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 17 décembre 2015
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