Voici deux jeunes femmes
parisiennes que je connais indirectement un peu. Elles sont toutes
les deux belles, sportives. L'une est justement passionnée par le
sport, l'autre par l'art, la philosophie, le cinéma et sans doute
d'autres choses encore. Elles ont un point commun : elles sont
obsédées par l'idée de « se trouver un copain ». L'une
et l'autre se choisissent à chaque fois un très beau jeune homme
« sexuellement actif ». C'est-à-dire qui bande et baise.
Et qui ne laisse pas trop trainer sa queue ailleurs que dans le trou
de sa dame proclamée et attitrée. Ces deux femmes ont une jalousie
de tigresse. Et, tôt ou tard, s'estiment trahies. Soit que l'amant a
été éjaculer dans un autre trou. Soit qu'il ne s'est pas révélé
respectueux pour une autre raison et dans un autre domaine. Et il est
congédié. Ces deux jeunes femmes accumulent et additionnent les
déceptions en série. Et en attribuent la responsabilité toujours à
l'homme. Voire aux hommes en général, qui ne « veulent plus
s'engager ». Ces deux jeunes femmes qui croient trouver l'amour
recrutent en fait des abonnés au trou. « Je te baise, et
seulement toi », donc c'est « l'amour ». Comment ces jeunes femmes
pourtant intelligentes peuvent-elles continuer ainsi dans ce délire
et cette succession de déceptions ?
Parce qu'elles ont été
programmées. Un jour, on leur a mis en tête qu'elle devait
se trouver leur moitié d'orange qui existe forcément quelque
part, puisqu'elles sont attirantes, jeunes et jolies. La dernière
fois que la mère d'une d'entre elles m'a dit que sa fille « avait
trouvé un nouveau copain », je n'ai même pas éprouvé
l'envie d'émettre un commentaire. J'ai juste pensé : « encore
un qu'elle va larguer dans pas trop longtemps! »
Mais qu'est-ce que cette
fameuse « programmation » ? Ça marche ainsi : à un
moment-donné vous vous dites intérieurement : « je dois faire
ça. » Et cette pensée reste en quelque sorte « collée ».
Vous ne la remettez pas en question. Vous l'admettez comme s'il
s'agissait d'une vérité révélée. J'ai moi aussi été programmé
dans le domaine sexuel. J'avais vingt-deux ans à l'époque et les
jeunes filles ne m'intéressaient pas plus que ça. Je n'envisageais
absolument pas de me trouver « une petite amie pour de vraie ».
Celle dans laquelle on met sa queue. Mais l'entourage a mis le holà
sur ma manière de voir les choses. Ce sont ma mère et le médecin
de famille qui ont décidé que je devais absolument et bien vite
coucher avec une fille. Que ça me manquait ! Ils savaient mieux que
moi ce dont j'avais besoin. Ces deux triple-crétins se sont mis
alors en quête du trou où je devrais épancher mon sperme. C'est ma
mère qui trouva le récipient. Il s'agissait d'une brave fille qui
riait tout le temps. Je la connaissais un peu et ne m'étais pas
affolé spécialement à son égard. Un jour que je l'ai croisé lors
d'une manifestation, c'est ma mère qui m'accompagnait, qui m'a dit
de lui demander son téléphone ! Moi, très naïvement, sans fleurer
le complot, j'ai obtempéré et demandé le téléphone de la belle.
Par la suite, j'ai continué à me faire manipuler. Pour finalement
en venir à ce qu'avec cette jeune fille je suis parti en vacances.
Et, triste pensée, quand je nous voyais demain dormir ensemble sous
la tente, je me disais, pensant à l'acte sexuel : « il faudra
en passer par là. » Ce fut bien entendu nul. Cette relation
dura six mois. Mais après, j'étais programmé pour continuer. Et,
comme un con, ou plutôt : comme des milliards d'autres cons, sans en
avoir au fond spécialement envie, je me disais : « il faudra
que je me trouve une fille », c'est-à-dire : une petite amie.
Il y en eu quelques-unes.
Ça n'a jamais bien fonctionné. Ce qui est normal. Ce n'était pas
le fruit de mon désir mais du conditionnement de merde qu'on m'avait mis
dans la tête. Enfin, après quatre dizaines d'années, j'ai fini un
jour par remettre en question mon conditionnement. J'avais réussi à
m'exploser encore plus rudement que toutes les autres fois. Et alors
une lueur d'authenticité a éclairé la nuit. « Mais, si au
fond je n'en ai pas envie, pourquoi avoir poursuivi si longtemps
absurdement ce but et avec quels résultats ! Ne pas baiser n'est pas
un drame. » J'ai remis en question la chaîne que je portais
depuis quatre décennies. Et me voici enfin libre de ce
conditionnement stupide que trainent encore les deux jeunes femmes
dont je parlais au début de ce texte.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 9 décembre 2015
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