Mon défunt père était un aristocrate né en 1909
à Saint-Pétersbourg dans un milieu de nobles militaires de carrière
russes et tsaristes. Il me disait avec animosité à chaque fois
qu'il en parlait : « les Ukrainiens sont des Russes ! »
Pourtant, il n'avait aucun intérêt personnel à le dire. Son propos
illustrait en fait que la négation de l'identité nationale
ukrainienne est une tradition chez certains Russes. Et les relations
entre la Russie et l'Ukraine sont loin d'avoir toujours été
fraternelles et amicales. L'histoire en témoigne.
Quand eu lieu la Révolution d'octobre 1917, les
bolchéviks prirent le pouvoir. En mars 1918, par le traité de
Brest-Litovsk, le gouvernement bolchévik livra l'Ukraine aux
Allemands, en échange de la paix. Le contenu de ce traité était,
certes, imposé par l'impérialisme allemand, mais un tel acte laisse
des traces. D'autant plus quand il émane du gouvernement russe.
Peu après, l'armée anarchiste ukrainienne de
Nestor Makhno chassa les Allemands d'Ukraine, si j'en crois une belle
chanson qui parle de ladite armée.
Les Ukrainiens n'étaient pas au bout de leurs
peines dans leurs relations avec les Russes. Par la suite, convoqués
par les bolchéviks au côté desquels ils combattaient les gardes
blancs, l'ensemble des officiers de Makhno tombait dans un piège et
était fusillé. Épisode peu glorieux de l'histoire de la guerre
civile où on voit une des parties en présence se débarrasser par
traitrise d'un allié.
L'entrée de l'armée rouge en pays cosaque suscita
le soulèvement des cosaques contre celle-ci. Cela se passait aussi
en Ukraine.
Vint la fin de la guerre civile en Russie et la
victoire des bolchéviks. Les ennuis des Ukrainiens dans leurs
rapports avec les Russes ne s'arrêtèrent pas là. L'ensemble du
Comité central du parti communiste ukrainien sera exterminé par les
soins d'un serviteur du régime de Staline. Ce serviteur devait
devenir plus tard célèbre. Il s'agissait de Nikita Khrouchtchev.
Parmi les chefs communistes de l'Ukraine ainsi assassinés figurait
un des principaux leaders bolcheviks, un Roumain d'origine bulgare
connu sous le nom de Christian Rakowski. Président du Conseil des
commissaires du peuple d'Ukraine en 1919, arrêté en 1937, il sera
fusillé en 1941.
Bien plus tard, Khrouchtchev devait dire que Staline
envisagea la déportation de l'ensemble du peuple ukrainien et
renonça face à l'ampleur de la tâche. C'est dire qu'il détestait
ce peuple.
Au début des années 1930 les Ukrainiens subirent
une famine qui fit des millions de morts. Elle fut voulue, organisée
par le pouvoir central de Moscou.
Cet événement est resté dans la mémoire
collective ukrainienne sous le nom d'Holodomor.
L'Ukraine, grand et vieux pays d'Europe habité
aujourd'hui par plus de 45 millions d'habitants, a continué à être
niée par le pouvoir russe. Du temps de l'URSS ce pays était aux
abonnés absents. Personne n'en parlait en France, par exemple. Les
universités d'Ukraine dans les années 1960 donnaient leurs cours en
russe et pas en ukrainien.
Chaque fois qu'en URSS quelqu'un s'avisait de
protester contre la situation faites aux Ukrainiens, il se retrouvait
immanquablement pourchassé en qualité de « nationaliste
petit-bourgeois ».
Toutes ces choses laissent des traces dans la
mémoire du peuple ukrainien. Quand, il y a quelques mois, fut
annoncé un accord privilégié avec la Russie, décidé par le
gouvernement ukrainien, quantité d'Ukrainiens se se sont sentis
trahis, vendus aux Russes.
L'Europe libérale, de son côté, avait proposé un
accord de merde à l'Ukraine. Accord dont les ultra-libéraux
européens ont le secret. Réformes dites « de structure »
pour foutre en l'air l'économie ukrainienne et la rendre bien
libérale, etc. Cet accord fut rejeté par le gouvernement pro-russe
d'Ukraine. Quoi qu'on pense des motivations de ce rejet, n'oublions
jamais que l'accord proposé par l'Europe était un accord de merde
concocté par les mêmes spécialistes qui affament le peuple grec.
Et, en collaboration avec les Medefistes de « droite » ou
de « gauche », planifient la destruction des services
publics et de l'économie françaises.
L'accord privilégiant la Russie avait provoqué la
colère d'un grand nombre d'Ukrainiens. S'ajoutait à ce sentiment
l'indignation soulevée par le train de vie luxueux du président
Ianoukovitch. Puis le mécontentement amené par la violence de la
répression des protestations.
Et, enfin, la goutte qui a fait déborder le vase,
la décision d'adopter des lois mettant en place une dictature.
Punissant notamment de cinq années de prison le blocage des
bâtiments officiels, réprimant le port de casques et masques dans
les manifestations, etc. Un train de mesures qui rappelle la sinistre
« loi matraque » que tenta d'imposer le gouvernement
québécois. Et qui entraina des protestations qui le firent tomber.
En somme, décider « démocratiquement » d'instaurer la
dictature.
Loin d'être des manifestations d'amour pour
Barroso, le soulèvement actuel du peuple ukrainien est d'abord une
révolte dirigé contre la tutelle russe, le luxe du président
ukrainien et sa tentative d'instaurer une dictature.
Comme disait un manifestant dernièrement : « je
préfère descendre dans la rue protester maintenant plutôt
qu'attendre qu'on vienne me chercher chez moi ».
Certains médias français répètent que les
manifestants ukrainiens ne témoignent que de sentiments
« pro-européens ». Il faudrait dire : anti-russe,
anti-dictature, anti-Ianoukovitch. Et aussi, accessoirement, leurs
motivations ont pour origine quelques illusions sur l'Europe.
L'Europe des capitalistes ultra-libéraux qui est une belle saloperie
et se garde bien de les aider. Car elle déteste tous les peuples
d'Europe et du monde, notamment les peuples russe et ukrainien. Et
n'aime que l'argent. On la voit bien à l’œuvre, quand, via le
gouvernement français à ses ordres elle ferme aujourd'hui
maternités et hôpitaux de proximité, et services d'urgences, comme
celui de l'Hôtel Dieu de Paris. Si elle est prête à provoquer
ainsi une catastrophe sanitaire en France, que vaut pour elle le sort
et la liberté du peuple ukrainien ? Rien du tout, seule l'adoration
du Veau d'or intéresse Barroso et ses amis, au nombre desquels notre
très sarkozo-démocrate président scootériste.
Que va donner la révolution ukrainienne ?
Certainement que d'ores et déjà interviennent massivement en
Ukraine tous ceux qui souhaitent qu'elle échoue. Et n'apporte rien
de bon au peuple ukrainien. On peut supposer que l'argent russe
alimente une part de la résistance du gouvernement pro-russe
d'Ukraine. Les unités de police qui font face aux manifestants
touchent peut-être de très belles primes, comme cela arrivait en
Angleterre, pour la police anglaise, quand Madame Thatcher réprimait
la grande grève des mineurs de son pays. Toutes les hypothèses sont
possible. Le matériel anti-émeute est peut-être d'origine
française ? Allez savoir ! En tous cas, les fées Carabosse ne
manquent pas pour se pencher sur le berceau de la Révolution
ukrainienne. Il faut espérer que, malgré tout, celle-ci finira par
apporter quelque chose de bien. En tous cas, dans la suite de la
révolution tunisienne, l'Ukraine nous apporte la première
révolution européenne depuis la Révolution des œillets qui fit
tomber la dictature au Portugal en 1974.
Basile, philosophe naïf, Paris le 26 janvier 2014
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