L'enfant apprend en
écoutant les adultes. Et surtout en les imitant. Or, il se trouve
que de larges et importantes parties de la vie adulte sont
dissimulées, cachées à sa connaissance au nom de la « pudeur ».
Les conséquences de ce phénomène peuvent être minimes,
importantes, voire catastrophiques.
Quand j'étais petit on ne parlait pas de « ça » autour de moi dans la famille où je grandissais. J'ignorais tout de la sexualité. L'organe nommé « sexe », chez les filles comme chez les garçons, servait à uriner, point. Je me souviens un jour, quand j'avais douze ans, avoir ouvert par hasard un ouvrage de photos accompagnées de poèmes de Paul Éluard. Chaque page de texte faisait face à une grande photo en noir et blanc montrant en gros plan le bas-ventre nu d'une jeune fille. J'ai regardé quelques pages. C'était toujours des bas-ventres nus de jeunes filles différentes. J'ai trouvé le choix du sujet étrange. Pas intéressant et même sentant un peu l'urine au sens figuré.
Quand j'étais petit on ne parlait pas de « ça » autour de moi dans la famille où je grandissais. J'ignorais tout de la sexualité. L'organe nommé « sexe », chez les filles comme chez les garçons, servait à uriner, point. Je me souviens un jour, quand j'avais douze ans, avoir ouvert par hasard un ouvrage de photos accompagnées de poèmes de Paul Éluard. Chaque page de texte faisait face à une grande photo en noir et blanc montrant en gros plan le bas-ventre nu d'une jeune fille. J'ai regardé quelques pages. C'était toujours des bas-ventres nus de jeunes filles différentes. J'ai trouvé le choix du sujet étrange. Pas intéressant et même sentant un peu l'urine au sens figuré.
Un jour, en rapprochant
des informations fragmentaires et des observations, j'ai découvert
l'existence de l'acte sexuel à l'origine de la conception des
enfants. Chose qui m'avait été soigneusement caché par mes
parents. Une pensée m'est venue aussitôt : « ils ne pouvaient
pas ne pas savoir comment on fait les enfants, puisque je suis là,
ainsi que mes frères et ma sœur ».
Donc, mes parents
m'avaient caché quelque chose. Je découvrais ainsi sans l'analyser
la « clôture des adultes », derrière laquelle les
adultes dissimulent quantité de choses aux enfants.
Cette dissimulation a des
conséquences redoutables. En effet, arrivé à un certain âge, on
découvre forcément la sexualité adulte. Mais on est dépourvu de
points de repères. Car il y a un gigantesque hiatus dans notre
éducation. C'est un peu comme si on découvrait la nourriture sans
jamais avoir vu qui que ce soit amener des ingrédients, les
préparer, servir les plats et manger. On ne risque pas de se
retrouver très à l'aise et habile pour gérer les achats, cuisiner
et tenir une fourchette !
Le problème se pose de
la gestion des besoins sexuels. Et de quels besoins s'agit-il
exactement ?
Vers 12 ou 13 ans, seul,
j''ai découvert la masturbation, pensé au coït sans nullement
l'envisager, ai été fasciné par la beauté de certaines jeunes
filles de mon âge aperçues au passage, ai eu peur de tomber
amoureux... Que d'émois, et nuls carte, boussole ou conseil pour
savoir où me diriger ! Certes, on pourrait croire qu'il suffit de
suivre « nos besoins ». Mais nous ne les connaissons pas.
Il est très facile
d'adopter alors des conduites qui en fait ne nous conviennent pas. De
s'embrouiller et d'être incapable de gérer « l'échelle des
importances ». Qu'est-ce qui compte ? L'« amour »,
la « fidélité », le « sexe », les caresses,
la beauté, la durée, l'expérience ? On ne sait pas.
Les humains peuvent dès
l'enfance se suggérer des besoins et ressentis. L'exemple est donné
par le petit enfant qui tombe et se fait un peu mal. Dites-lui :
« relèves-toi, ce n'est rien ! » Il se relève et
continue à jouer. Précipitez-vous pour le ramasser en vous
exclamant : « oh ! Le pauvre petit, comme il a mal ! »
Résultat, l'enfant pleure, braille et a vraiment mal !
Quand on commence à se
poser la question du sexe pratique partagé, il suffit de régler son
échelle des importances en dépit du bon sens pour se rendre très
malheureux.
La première impression
donnée par une jeune fille a un jeune homme peut être très
agréable. J'en avais fait à une époque la condition sinéquanone
de ce que je considérais comme le départ du super important et
indispensable « amour ». Résultat, je m'attachais à des
femmes qui m'avaient frappé par leur beauté, qui ne signifie en
fait rigoureusement rien. Et cherchais ensuite à les séduire
intellectuellement avec des poèmes d'amour. Inutile de dire que le
résultat était nul. Je restais seul. D'autant plus que toutes
approches « physiques » tentées par une jeune fille à
laquelle je plaisais me révulsait, car ne correspondait pas à mon
échelle des importances. J'avais fait de mes poèmes d'amour une
sorte de mécanisme fantasmatique qui devait me conduire à
« l'amour », le jour où j'aurais la chance de rencontrer
« la bonne personne ». On nage dans la parfaite
imbécillité.
J'ai pratiqué cette
démarche durant plus de trois ans. Finalement, en août 1984, en recopiant
des poèmes que j'avais écrit à l'intention de la énième créature
de rêve inaccessible, j'ai pris conscience de mon délire. « Mais,
comment ai-je pu écrire de telles choses à une personne que je ne
connais pratiquement pas ? » me suis-je dit. Ce qui fait que
j'ai arrêté ce délire poétique.
Autre délire causé par
le dérèglement de l'échelle des importances : accorder une
importance primordiale à « l'acte sexuel ». Une femme me
plaisant, je me retrouvais obsédé par l'idée de parvenir à
« faire l'amour » avec elle. Il ne s'agissait aucunement
d'un besoin, mais d'une idée fixe. D'autant plus étrange que je
réalisais fort bien que la pratique du coït, exceptée une fois, ne m'avait jamais passionné.
Je troquais un jour ce
dérèglement de l'échelle des importances par le refus du coït.
J'inventais une vaste théorie de « l'amour sans sexe ».
Puis, un jour,
rencontrant apparemment une femme que j'aimais et qui m'aimait, j'ai
initié un nouveau dérèglement de mon échelle des importances :
les sentiments devaient primer tout. J'idolâtrais ma nouvelle
compagne, et, au nom des sentiments, acceptais tout ce qu'elle
voulait. Ma vie devenais entièrement dévouée à son service.
Problème : quelqu'un qui fait tout pour vous est plaisant un
temps. A la longue ça devient pesant et insupportable.
Je me suis retrouvé
expulsé de la vie de « la femme de ma vie ». Elle a très
bien fait. Et j'ai réussi à ne pas me suicider après cette
séparation très pénible à laquelle j'avais involontairement
contribué.
Le dérèglement
réciproque de l'échelle des importances nous avait également
conduit à « faire l'amour » sans en avoir jamais eu
envie, car il fallait bien, si nous voulions un enfant. C'était une
belle sottise que j'avais accepté avec le projet familial de ma
compagne. Elle m'aurait demandé n'importe quoi, y compris de danser
sur la table, j'aurais accepté.
C'est dire où le
dérèglement de l'échelle des importances peut nous conduire.
La conséquence directe
possible la plus tragique de ce dérèglement est de nous conduire au
suicide. Et aussi, par insatisfaction, amener à pratiquer des
comportements compensatoires dévastateurs. La chrématistique en est
un. On va accumuler de l'argent pour l'argent pour compenser son
insatisfaction ailleurs. On pourra aussi chercher la célébrité, le
pouvoir, avec toutes les conséquences dramatiques que ces quêtes
peuvent entraîner.
Les bâtisseurs d'empires
politiques ou financiers provoquent des désastres pour arriver à
posséder le plus gros possible des hochets de pouvoir. Et leurs
empires finissent toujours par s'écrouler.
Prenons bien garde aux
dérèglements de notre échelle des importances, fruits des
déficiences de notre éducation avant l'entrée dans l'âge
« adulte ». Analysons bien nos « passions »
! Et sachons nous détourner des impasses que la masse des humains
adorent fréquenter avant de se lamenter sur « la dureté de la
vie » qu'ils organisent eux-mêmes. C'est ainsi seulement que
nous parviendrons à améliorer la qualité de nos vies.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 14 janvier 2014
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