Dans la société
française on distingue les « enfants » et les
« adultes ». La séparation entre les deux groupes se
situe aux majorités. La première, la majorité pénale, est fixée
aujourd'hui à treize ans. Si on est plus jeune et on commet un
délit, on échappe à la justice. La seconde majorité est la
majorité sexuelle. Elle est fixée à quinze ans. En dessous de cet
âge, on est considéré incapable de consentement responsable, par
manque de maturité. Toute promiscuité sexuelle entre un mineur de
quinze ans et un adulte, même si le mineur déclare être
consentant, est assimilée au viol. Enfin, la troisième et dernière
majorité est fixée à dix-huit ans, c'est la majorité civile. On
est sensé être, à partir de ce moment-là, pleinement entré dans
l'âge « adulte ».
Ces majorités peuvent se
discuter. On peut être encore un enfant affectivement et
intellectuellement, avoir passé treize ans, commettre un délit et
être néanmoins considéré responsable. Un individu majeur qui a un
amant ou une amante âgé de quatorze ans, onze mois et vingt-huit
jours risque dix ans de prison. Trois jours après, il ne risque plus
rien pénalement. Enfin, à dix-huit ans, et même après, on peut
être un vrai gosse totalement immature.
Je voudrais illustrer la
fragilité des limites avancées entre l'âge enfantin et l'âge
adulte en évoquant le souvenir d'un homme extrêmement sympathique,
modeste et brillant, le maître mouleur et professeur de moulage à
l'École des Beaux-Arts de Paris Robert Noguès.
Les mouleurs sont des
dynasties. Mes parents ont connu son père au tout début des années
1950. Quant à Robert, je l'ai rencontré dans les années 1970 quand
j'étais son étudiant aux Beaux-Arts.
Voici ce qu'il a eu
l'occasion de me raconter :
Durant la seconde guerre
mondiale, Hitler avait, c'est connu, son sculpteur officiel, un
Allemand du nom d'Arno Breker.
Durant le conflit,
celui-ci préparait le monument à la victoire du Troisième Reich.
Il consistait en une allée bordée de bas-reliefs monumentaux en
bronze. Pour trouver le métal, Arno fit organiser une razzia sur les
statues en bronze des pays occupés. C'est ainsi qu'il récupéra et
envoya à la fonte une quantité d'œuvres d'arts, notamment à
Paris, où elles ornaient des lieux publics.
Il avait le matériau,
restait la main d'œuvre. Il fit ramasser dans les camps de
prisonniers toutes les personnes qualifiées qu'il trouva et dont il
estima avoir besoin. C'est ainsi que le prisonnier de guerre Noguès,
père de Robert qui m'a raconté cette histoire, se retrouva à
travailler dans l'immense atelier du sculpteur nazi. Des trains de
marchandises pouvaient y entrer, tellement c'était grand.
Le père Noguès profita
d'une permission ou d'un moment d'inattention de ses gardiens, je ne
me rappelle plus cette précision. Toujours est-il qu'il s'évada,
rejoignit sa famille restée en France et se cacha.
Or, un jour, quelques
vilains miliciens vinrent à la maison pour récupérer le fugitif.
Ils ne le trouvèrent pas. Mais prirent à part son fils Robert,
jeune enfant alors, lui mirent une mitraillette braquée sous le nez
et lui dirent : « tu sais où se cache ton papa, dis-nous où il est ! »
Le fils Noguès
connaissait la réponse. Il répondit qu'il l'ignorait. Alors, ce
jour-là, s'est-il conduit comme un « enfant » ou un
« adulte » ? A mon avis il fut le meilleur adulte
responsable possible. Quant au sens des responsabilités supposée de
la masse « adulte », à la vue du monde, j'en doute.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 30 décembre 2013
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