Ce qui se passe à
Marinaleda depuis 1979, soit depuis trente-cinq ans, dépasse très
largement en importance cette seule petite ville andalouse de 3000
habitants et sa région l'Andalousie. Cela concerne l'Humanité toute
entière. A certains points de vue Marinaleda est aujourd'hui le
sommet du progrès de la Civilisation humaine. Un exemple simple, à
suivre, enrichir, développer partout dans le monde.
Les grands de ce monde
nous claironnent que le problème du jour c'est « la crise ».
Significatif de celle-ci est le chômage massif. Et, dans les villes
de nos pays qu'on dit « civilisés » et « évolués »,
les pauvres vagabonds se comptent par dizaines de milles.
En France, pays très
riche, il y aurait 150 000 crève-la-faim qui dorment dans la rue et
8 millions de pauvres !
A Marinaleda il y a juste
5 % de chômage contre 30 % dans le reste de l'Andalousie. Et tout le
monde a un toit.
A la coopérative qui
fait vivre la ville, les ouvrières travaillent dans une atmosphère
détendue, en musique et sans chefs ! Elles ont le sentiment de
travailler pour elles. Et que leur travail leur appartient. La
production est de première qualité. Notamment l'huile d'olive,
exportée en Italie, est d'exceptionnellement bonne qualité.
Les élus de la ville
pourraient difficilement être corrompus par leur charge : ils ne
touchent pas un centime pour l'occuper !
Et ils ont signé par
devant notaire l'engagement d'être les premiers à agir pour amener
des progrès économiques et sociaux à Marinaleda et les derniers à
en bénéficier.
Les loyers de logements
spacieux et modernes, de 90 mètres carrés avec tout le confort et
un patio de 100 mètres carrés, sont de 15 euros 52 centimes par
mois. La crèche, nourriture comprise, coute 12 euros par mois et par
enfant. L'abonnement annuel pour la piscine coute 3 euros.
Toutes les décisions
municipales sont proposées en assemblées générales où les
habitants discutent et votent, enfants compris. Il y a une centaine
d'assemblées générales par an.
Il n'y a pas de
délinquants, pas de policiers et pas d'amendes... Et pas de
capitalistes, de banquiers ou de spéculateurs, qui sont les
délinquants légaux du libéralisme économique.
Devant les problèmes du
monde, on pourrait penser que tous ceux qui disent chercher des
solutions vont clamer haut et fort : « les solutions sont là !
suivons l'exemple de Marinaleda ! »
La plupart du temps tous
ces gens qui prétendent vouloir notre bien ne le font pas. Seule une
très petite minorité parle de Marinaleda. Pour découvrir
Marinaleda, il m'a fallu « tomber dessus » au hasard
d'Internet. Autour de moi, personne ne connaissait Marinaleda, y
compris des militants politiques d'extrême gauche.
Pourquoi il y a des
personnes certainement au courant qui évitent d'en parler ? Par peur
de la violence ? Mais, chose prodigieuse à souligner : ce qui se
passe à Marinaleda a été obtenu sans violences. Sinon exceptée
celle de la « guardia civile » qui vint s'opposer aux
habitants durant les années où ils luttaient pacifiquement pour
obtenir de pouvoir travailler des terres.
Mais il faut à présent
expliquer ce qu'est Marinaleda.
Qu'est-ce que
Marinaleda ?
Marinaleda
est une petite ville de l'Andalousie, au sud de la péninsule
ibérique. Cette région fait officiellement partie du royaume
d'Espagne. En 1936, lors du « pronunciamento »
soulèvement militaire franquiste, les franquistes assassinèrent le
maire républicain Vicente Cejas,
son fils et trois dizaines d'habitants de cette petite ville.
Deux
mots résument les problèmes andaloux : jornaleros et latifundios.
Les
jornaleros sont l'immense masse de travailleurs agricoles sans terre.
Les latifundios de gigantesques propriétés, très souvent en
friches, appartenant à des propriétaires très riches ou des
organismes étatiques, comme l'armée. Le plus gros propriétaire de
la région de Marinaleda et de l'Andalousie est le duc de
l'Infantado. Il possède 17 000 hectares, le plus souvent en friches.
Qui lui rapportent beaucoup d'argent. En tant que propriétaire de
terres agricoles il touche de l'Europe une « aide ». Vers
1980-1990 elle se montait à deux millions d'euros par an et a du
augmenter depuis.
Après
la mort du général Franco, survenue en 1975, la dictature va
cesser. En 1977, se fonde à Marinaleda le Sindicato de
Obreros del Campo (Syndicat des Travailleurs de la Terre) - SAT.
Il compte 55 membres à son début. Bientôt ils seront 600.
Il
va lutter pour assurer la subsistance et des conditions de vie
décente pour la population. D'abord pour obtenir l'eau, puis pour
obtenir la terre.
Comme
cela s'avère nécessaire, les militants s'engagent dans le combat
politique. Et remportent les premières élections libres depuis la
fin du franquisme. En 1979, Juan Manuel Sánchez Gordillo, un
enseignant né en 1952, devient à Marinaleda le plus jeune maire
d'Espagne. Contrairement à une multitude de politiques de tous pays,
il ne trahira pas ses électeurs après avoir été élu.
Dans
son bureau, le drapeau républicain remplace le drapeau royal, le
portrait de Che Guevara celui du roi. Le maire porte une chemise
rouge et un foulard palestinien. Il lui est arrivé d'être frappé
par la police. A deux reprises des organisations d'extrême-droite
ont cherché à attenter à sa vie.
Il
déclare être inspiré par l'exemple du Che, du Christ, de Gandhi et
des anarchistes andalous.
Après
son élection, la lutte pour la terre se poursuivra durant des
années, avec occupations de fermes, blocages de routes, ligne de
chemin de fer, aéroport...
L'action
se porte en particulier sur les terres du duc de l'Infantado. Elles
sont défendues par la guardia civile, la police du régime. Un été
on verra même les hommes du duc abattre toute une rangée d'arbres
afin de priver d'ombre les protestataires qui se regroupent en plein
champs ! Cependant qu'en face, la police conserve l'ombrage des
oliviers. D'innombrables actions judiciaires sont intentées contre
les protestataires. Qui subiront la violence y compris physique de la
répression. Le maire fera de la prison. Et
sera et reste constamment réélu depuis sa première élection.
A
force de protestations pacifiques, une victoire est remportée. En
1991, le gouvernement espagnol achète au duc 1259 hectares de terres
agricoles et les remet à la municipalité de Marinaleda.
Elles
vont être cultivées en coopérative. Chaque employé, quel que soit
son poste, touche aujourd'hui 47 euros pour 6 heures et demi de
travail par jour, de 7 heures à 14 heures. La moyenne du salaire en
Andalousie est de 30 à 35 euros par jour.
Le
travail est réparti. Si, par exemple, il y a 200 travailleurs et on
a besoin de 50, on fait quatre équipes de 50 qui travaillent chacune
à tour de rôle durant une semaine. Et tout le monde est payé pour
quatre semaines de travail. Quand il y a un surcroît temporaire de
travail, on embauche des travailleurs extérieurs. On n'augmente pas
l'intensité ou la durée habituelles du travail des habitants de la
coopérative de Marinaleda.
Si
des bénéfices sont faits, ils ne sont pas distribués, mais servent
à créer des emplois nouveaux.
Quand
le chômage apparaît avec l'arrivée de la crise économique à
partir de 2008, on s'applique à ce que chaque famille de Marinaleda
ait au moins un emploi à la coopérative afin qu'elle ne se retrouve
pas sans ressources. Le principe suivi est que chacun a droit à
manger.
Et
aussi à se loger. La municipalité a exproprié une quantité de
terrains autour de la mairie. Ils sont ensuite mis gratuitement à la
disposition de mal logés de la ville qui souhaitent se loger. Les
matériaux de construction sont fournis grâce à une aide de l'État
et la région. La mairie paie un architecte et des ouvriers
spécialisés. Ils encadrent les mal logés, qui construisent une
série de maisons. A l'issue, chaque mal logé dispose d'une
habitation confortable avec un grand patio qui pourra servir à
agrandir la maison. Aux plans de l'architecte, les futurs habitants
de l'ensemble de maisons peuvent proposer des modifications. A
l'issue, une fois logés, ils paient juste 15 euros 52 centimes par
mois pour rembourser les matériaux de construction. Le résultat de
cette politique d'auto-construction est qu'un tiers des
habitants de Marinaleda est logé ainsi dans plus de 300 maisons. Et
personne ne se retrouve sans abri.
Voilà
où on en est aujourd'hui à Marinaleda. Et dont on ne parle pas
suffisamment. Ce qui est possible là-bas l'est partout, en
l'adaptant bien sûr. Et à condition de le vouloir. Mais les élus
qui, de par le monde, n'agissent pas dans ce sens, le veulent-ils ? La
question mérite d'être posée. Et je me doute de la réponse. Ou
alors qu'ils agissent vite !
Où en est aujourd'hui
Marinaleda ?
La
municipalité de Marinaleda souhaiterait voir son exemple suivi
ailleurs et partout.
Autre
action : en août 2012, avec 400 militants syndicaux du SAT, le maire
a été exproprier de la nourriture de première nécessité dans
deux supermarchés de la région. Elle a été distribué à des sans
abri de Séville qui squattent un bloc d'immeubles. Il y a beaucoup
de sans abri dans cette ville.
Durant
le même été, souhaitant offrir plus de terres à cultiver, le
maire de Marinaleda, avec des militants syndicalistes du SAT, a
occupé durant dix-huit jours la ferme de Las Turquillas à
Osuna. Elle est immense, appartient
à l'armée espagnole. En friche, juste une vingtaine de chevaux y
vivent. Les occupants ont été chassé par la police. En novembre
2013, le tribunal de la région a condamné pour cette occupation le
maire de Marinaleda et le secrétaire général du SAT Diego Cañamero
à une très importante amende et sept mois de prison ferme. Après
la confiscation de nourriture opérée en août 2012, le ministre de
l'Intérieur espagnol a fustigé cette action en disant qu'il y avait
certes des problèmes, mais qu'on ne devait pas réagir ainsi, car ce
serait « la loi de la jungle ». A ma connaissance, dans
la jungle amazonienne, les singes se conduisent plus généreusement
que dans la jungle capitaliste, libérale et « européenne ».
On
ne voit aucun singe priver un autre singe de nourriture sous prétexte
qu'il n'a pas d'argent. Ni accaparer un stock de nourriture en
affamant les autres, sous prétexte que c'est « sa propriété ».
Basile,
philosophe naïf, Paris le 19 décembre 2013
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