L'immense masse de la
population salariée se lève aux aurores. Jaillit de la tiédeur
attachante de son lit dans le froid de la pièce pour courir se
rendre au chagrin.
L'homme ou la femme
politique se lève chaque jour à une heure humaine et raisonnable :
vers huit ou neuf heures. Prend son petit déjeuner ou son café
confortablement en épluchant avec intérêt la presse. Elle traite
de sa vie professionnelle.
« Tiens ? Se
dit-il, B a été promu ministre suite au dernier remaniement
gouvernemental ? Ça tombe bien ! C'est un ami. Je vais lui
téléphoner, ça favorisera ma carrière. Et W est nommé au Conseil
d'État ? Mais qui c'est ce W ? Mais, bien sûr, c'est le cousin par
alliance de X ! Quel malin, ce W, il démarre en beauté dans la
politique. Voyons, mais c'est N à la page faits divers ! Il est
poursuivi pour abus de biens sociaux ? Bien fait pour lui, il
m'a toujours mis des bâtons dans les roues ! »
Et voilà démarré sa
journée. Puis, l'homme ou la femme politique se rend à son travail.
Vers dix heures il rejoint une mairie, le siège de son parti, sa
permanence. Il retrouve des collègues et échange avec eux.
Puis, à midi, il va
déjeuner. Un excellent repas en prenant son temps. Il n'est pas
malheureux. Rien à voir avec une cantine d'entreprise. Là où il
va, c'est un sympathique petit restaurant de quartier où tout le
monde le connait. Il a ses habitudes et tutoie même le patron et
certains habitués.
L'après-midi se passe
vite. S'il n'a pas séance ou réunion, à dix-sept heures l'homme ou
la femme politique est de retour à la maison : un appartement
spacieux, acheté en toute propriété, ou un très vaste appartement
obtenu en qualité de logement social.
La vie de l'homme ou la
femme politique est paisible et agréable. Il peut être un homme ou
une femme très sympathique. Défendre des idées et causes justes.
Et y être sincèrement attaché. Le seul problème est que sa vie se
déroule plus par rapport à la politique conçue comme une carrière
professionnelle que comme un idéal. Ce qui facilite arrangements,
compromissions.
J'ai connu un homme
politique très sympathique. C'est seulement après bien des années
que j'ai réalisé qu'en fait sa motivation n'était pas les idées
qu'il défendait. Mais la vie confortable qu'il connaissait grâce à
la politique. Il n'a jamais trahi personne. Mais il en faisait juste
assez pour continuer à vivre son job. Et là est le problème. La
politique ne devrait jamais être un métier.
Comme il paraissait bon,
sensible et généreux, je lui ai parlé un jour du problème des
SDF. Il m'a répondu : « ce n'est pas un problème facile à
résoudre ». En fait, si ce problème ne lui paraissait pas
facile à résoudre, c'est parce que pour lui son existence ne
dérangeait pas sa vie, n'était en fait pas un problème pour lui.
Cet homme est mort depuis
longtemps. Il y a à présent officiellement 150 000 SDF en France.
Il serait facile de donner à chacun d'eux un minimum de quelques
mètres carrés bien isolés du froid, comportant un chauffage, un
lavabo, une douche, un lit, un placard, un téléphone, une plaque
chauffante et des WC. Ce serait mieux que ces innombrables et
misérables petites tentes où ces jours-ci les SDF grelottent en
nombre dans les rues de Paris. Mais pour nos hommes et femmes
politiques ce drame ne contrarie pas le cours de leurs activités
professionnelles. Alors, ils ne cherchent pas à y remédier. Et
c'est bien dommage. Car ce problème pourrait être réglé par eux
en quelques semaines. A condition, bien sûr, de vouloir s'en
occuper. Et s'en donner les moyens.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 22 novembre 2013
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