A
sa naissance, l'être humain est un pur singe. Quels sont les moyens
qui vont le forcer à s'humaniser. C'est-à-dire, d'une certaine
façon à se dégrader. Passant de l'état d'animal libre à celui
d'animal soumis et contrarié par des lois. Qu'il n'a pas choisi. Et
que le plus souvent il ne comprend pas ou guère ?
On
peut distinguer trois moyens : la corruption, la violence et le
conditionnement. Les mêmes servent à l'homme pour dominer ses
animaux esclaves, « dressés » ou « domestiqués ».
Le
premier moyen pour soumettre l'animal humain est la corruption. Voilà
un animal humain qui se sent en forme en se levant à neuf heures du
matin. Dont la passion est la peinture. Et qui a quantité d'amis.
Pourtant, six jours sur sept, il se lève à six heures pour balayer
et sortir des poubelles. Ce qui l'ennuie, en compagnie de personnes
qui ne l'intéressent pas. Pourquoi ? Parce qu'il s'agit d'un
« travail ». Il renonce à ses activités et amis aimés.
En se levant à six heures six jours sur sept et restant crevé toute
la journée et même le jour en fin de semaine où il ne
« travaille » pas. En échange de ça, on lui vend des
bons de nourriture à prix réduit, appelés « tickets de
cantine ». Et aussi, chaque mois, il reçoit un peu d'argent
pour acheter un minimum de choses.
Le
deuxième moyen utilisé pour dévoyer du chemin de l'authenticité
et la liberté l'animal humain est la violence. S'il refuse de
travailler on le licencie. Il perd son salaire. N'a plus aucun revenu
régulier pour subvenir à ses besoins. Notamment payer son loyer ou
ses charges s'il est propriétaire. Résultat, on l'expulse. Il se
retrouve à la rue. Il est marginalisé. Rejeté par la société qui
l'entoure. L'alcoolisme, la dépression, le suicide le guettent.
C'est la règle dans la plupart des pays du monde.
Le
troisième moyen, plus subtil, pour obliger l'animal humain à se
trahir est le conditionnement.
S'il
travaille, lui a-t-on répété un milliard de fois dans la société,
dans sa famille et à l'école, c'est parce que « tout le monde
travaille ». « C'est normal de travailler ».
« C'est bien de travailler ». « Si on ne travaille
pas, on est un feignant, un parasite, on profite des autres, »
etc. Et ceux qui travaillent sont « courageux »,
« nourrissent leurs enfants », « sont nobles,
utiles à la société », etc.
Tous
ces alibis sont bien jolis. Mais la plupart du temps, l'unique raison
qui amène à travailler est tout simplement l'argent. La peur
panique d'en manquer juste pour soi et strictement rien d'autre.
Il
y a des tas de gens qui ne travaillent pas : les petits enfants, les
vieillards retraités, les malades, les invalides, les malins
débrouillards. Et les riches, quand ils n'ont pas envie de
travailler. Parmi les malins débrouillards, on trouve, par exemple,
tout un tas de personnes très grassement payées, assumant
soi-disant de très hautes responsabilités. Et en fait touchant leur
paie à ne rien faire. J'en ai rencontré plusieurs. Mais, bien sûr,
je n'en dirais pas plus. Ce serait de la diffamation.
L'importance primordiale
de ces trois moyens : la corruption, la violence et le
conditionnement, expliquent quantité d'aspects perturbés de la
société humaine.
Car, tout ce qui tend à
échapper par nature à la corruption, la violence et le
conditionnement est impitoyablement pourchassé.
Le sexe à l'état
naturel est au nombre des victimes de cette chasse. L'amour
« physique », comme on dit, ne se compare pas avec la
prostitution. C'est comme comparer un banquet entre amis avec un
repas au restaurant pris avec des inconnus. Les plats pourront être
semblables. La saveur « humaine » de ceux-ci n'aura rien
à voir. Tout en banalisant le sexe lucratif, la société cherchera
de multiples façons à anéantir la relation entre ceux qui aiment
vraiment quand ils s'accouplent.
La seconde victime ici
répertoriée, ce sont les câlins. Comme pour le sexe, un câlin
sincèrement donné et reçu surpasse la caresse tarifée en émotion
et ressenti. Le vrai câlin est désintéressé, gratuit, généreux,
égalitaire. Notre société est tout son contraire. Et pour cela le
déteste.
L'amour subira un
terrible ostracisme dans notre société. Car c'est bien là une
chose que personne ne peut acheter. Ni obtenir par la force, ou le
conditionnement. L'amour est le grand triomphe du singe humain sur la
perversion de la société où il vit. Ou l'amour existe malgré
elle. Ou n'existe pas. On a beau faire, toutes les imitations
perverties et artificielles de l'amour sont tristes et insipides.
La société pervertie va
avoir en horreur la plus innocente et pure des tenues : la nudité.
Car elle nous montre tous égaux et bien sexués. Il faudra
absolument éviter de regarder l'autre nu. D'être vu nu par lui. Et
tout particulièrement certaines parties de l'épiderme devront être
dérobées à la vue.
Ou bien, on décrétera
qu'il existe une nudité « asexuelle », neutre. C'est
ainsi que feront les « naturistes ». Ils auront aussi
peur que les femmes, et même les fillettes nues, laissent leurs
cuisses écartées en public en telle sorte que leur fente soit
visible. Et auront une trouille panique de l'érection publique. Ces
deux peurs ne seront pas consignées par écrit, mais transmises
oralement.
Une autre perversion de
la vision de la nudité consiste à la décréter, par définition,
comme se réduisant à un prélude ou postlude au coït, à la
masturbation, au cunnilingus ou à la fellation.
La prohibition de la
dactilité existe aussi, notamment en France. Elle consiste à
condamner l'usage tendre des doigts. Par exemple, pour tenir l'autre
par la main. Si ce n'est pas un enfant, un malade, un mourant, votre
amant ou votre maitresse, pas touche ! On atteint ici un sommet
d'absurdité.
La chose la plus
chaleureuse, paisible et rassurante qui soit : dormir ensemble, est
abusivement assimilée au coït. « Coucher avec »,
« dormir avec », signifie « baiser avec ».
J'ai entendu un jour une dame indignée raconter qu'une de ses amies
dormait avec un fils âgé de treize ans. Vu l'âge, selon elle, ça
ne pouvait être que de l'inceste ! Son interlocutrice approuvait ces
âneries.
Sans parler de la
lingualité et du toilettage ! Montrer sa langue est irrévérencieux
et réservé aux enfants. Lécher l'autre publiquement, si on est
adulte, est forcement « sexuel ». On ne doit pas utiliser
sa langue ainsi. Les seules exceptions admises comme « correctes »
en société sont, avec la langue : lécher une glace. Ou un cigare,
pour le plaisir, et l'humecter avant de le fumer.
Mais lécher un humain,
si c'est en public, est un acte parfaitement abominable et indécent.
La société humaine,
pour nier le singe, ne craint pas le ridicule. Car, comme chacun
sait, le ridicule ne tue pas.
Et des lois pénales
sévères, partout dans le monde protègent le ridicule. Qui prétend
de ce fait ne plus l'être. Des fois, ces lois confinent au tragique.
Dans certains pays, comme l'Iran, voilà deux hommes qui
s'embrassent. Ce bisou est passible de mort. Car c'est de
l'« homosexualité » !
La langue que nous
parlons ou écrivons ignore l'amour vrai et ses subtilités. Et même
s'est appauvrit au cours des siècles. Ainsi, par exemple, jadis en
France, « être en goguette » signifiait « être en
caresses avec une femme ». Aujourd'hui, « être en
goguette » signifie faire la fête avec une légère ivresse.
Et pour dire « être en caresses avec une femme » il
n'existe plus de mot.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 8 novembre 2013
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