Il est courant d'entendre
dire qu'il est autant dire impossible que s'établisse une relation
d'amitié entre un homme et une femme. Même si cela n'est pas
toujours forcément vrai, ce propos illustre la fréquente difficulté
pour que s'établisse une telle relation. Mais, en quoi consiste
cette difficulté ?
Pour que s'établisse une
relation sympathique entre deux individus, animaux d'une même
espèce, trois facteurs indispensables interviennent : voir, toucher,
être libre de faire ce qu'on veut, dans la mesure où, bien sûr, on
n'empiète pas sur la liberté de l'autre. Qu'en est-il s'agissant
des humains ?
La société que je
connais et où je vis, c'est-à-dire française et parisienne, ne
permet pas, le plus souvent, de voir l'autre. Et en être vu. Pour la
simple raison que nous sommes habillés en permanence. Et si le temps
est y compris caniculaire, nous portons toujours quelque chose sur
nous en présence de la plupart des autres. En clair, la nudité
publique est prohibée et interdite. Cet interdit auquel nous sommes
habitués est totalement contre-nature, qu'il plaise ou non.
Le toucher est également
réglementé et le plus souvent interdit, excepté des touchers
ritualisés, peu chaleureux et très limités. Tels que se serrer la
main, claquer une bise.
Enfin, la liberté d'agir
n'existe pas, quand bien-même on voudrait respecter la liberté de
l'autre.
Vous voyez-vous dans le
métro demander poliment à une personne inconnue : « excusez-moi,
mademoiselle, me permettez-vous de passer ma main dans vos
cheveux ? » ou encore : « pardon monsieur, puis-je vous
caresser doucement la joue ? »
La seule intention
exprimée est aussi mal venue. Dire à une inconnue : « mademoiselle,
j'aurais bien aimé vous caresser la tête, car vous avez de bien
jolis cheveux » ou encore : « monsieur, votre visage si
fin et régulier, votre peau impeccable me donnent l'envie de vous
caresser la joue ».
Ces interdits sont y
compris niés alors qu'ils existent bel et bien. Certains vont les
nier en proclamant que : « bien évidemment je n'ai envie de
câliner que des personnes très proches », ou encore : « avec
les câlins, je n'ai aucun problème ».
On le voit, la culture
dominante nie la liberté du toucher. Au nom de quoi et en échange
de quoi le fait-elle ?
S'agissant des femmes,
elles ont le choix entre deux rôles, deux constructions d'origine
culturelle, qui représentent les deux faces d'une unique médaille :
la religieuse et la prostituée privée.
La religieuse est
intouchable, sacrée. On ne la touche pas. Ne l'effleure pas. Ne la
voit jamais nue, même en imagination. Elle est « sérieuse »,
donc distante.
Sinon, l'autre rôle est
celui de la prostituée privée. Son devoir est de se montrer nue à
l'homme unique auquel « elle appartient ». Elle doit
l'exciter sexuellement. Souhaiter, au moins en apparence, et accepter son « hommage »,
c'est-à-dire la pénétration de son pénis.
Est-elle payée pour cela
? Oui et non, car elle peut gagner sa vie aussi par un travail. Mais
l'homme, lui, est tenu d'être solvable pour compenser l'absence de
rémunération du travail domestique fourni par la femme. Si vous
êtes sans situation, pauvre, berger ou artiste, essayez de vous
marier ! Vous verrez comment vous serez accueilli par la gente
féminine désintéressée !
Bien sûr, il existe des
exceptions qui, comme on le sait, confirme la règle. Elle dure depuis la nuit des temps. Ce qui ne signifie
pas qu'elle est éternelle.
Quand j'étais enfant,
dans les années 1960, à Paris, la société était infiniment plus
puritaine qu'aujourd'hui. Je parle des apparences. Car le fond, lui,
n'a pas changé. On ne voyait pas une profusion omniprésente de
nudités féminines étalées à des fins publicitaires ou
pornographiques. Cependant, une chose m'a beaucoup frappé. Quand je
traversais avec ma mère les grands magasins ou leurs équivalents
plus petits : les uniprix ou monoprix, nous passions devant le rayon
de la lingerie féminine. A quoi bon tout cet attirail raffiné qu'en
principe les vêtements cachent ?
Pour la simple raison,
qu'il sert à exciter les hommes pour qu'ils accomplissent leur
« devoir » !
Et je ne parle pas de la
lingerie érotique, qui existe aussi.
Il y a peu de temps, je
rencontrais brièvement une jolie jeune fille. Elle m'a chanté des
chansons, et m'a beaucoup souri. Nos chemins se sont croisés. Et il
est fort possible qu'on ne se revoit pas. Pourtant elle était très
agréable et sympathique et paraissait m'apprécier. Pourquoi alors
cette relation a avorté ? Pour les raisons culturelles que j'ai
analysé plus haut.
Si nous avions été deux
singes à l'état de nature, après avoir sympathisé, nous aurions
eu des gestes de tendresse. J'aurais pu, par exemple, lui caresser
les cheveux. Là, dans notre société soi-disant évolué, c'est
impossible.
On se regarde. On
sympathise. Oui, mais, seuls deux rôles sont possible pour la jolie
fille : la religieuse ou la prostituée privée.
Religieuse elle est et
reste alors. Et le rôle de la prostituée, appréciez la
sophistication du piège, ne correspond pas non plus à une vraie
relation. Car la relation à l'ordre du jour n'est rigoureusement pas
celle que nous baptisons sexuelle et qui a pour objectif
l'accouplement. La relation potentielle et authentique est de l'ordre
des câlins : passer la main dans les cheveux de l'autre, par
exemple.
Mais, ce geste plein et
entier, cet instant précieux et pleinement vécu, est interprété
par notre société malade et obsédée comme une « avance
sexuelle ». Alors, que se passe-t-il entre nous ? Rien, ou
presque : on se sourit de loin et on se quitte sans s'être connu
plus qu'un bref moment partagé.
Si l'amitié entre femme
et homme est presque impossible à vivre, c'est parce qu'en fait elle
est interdite.
Très récemment, un
professeur anglais âgé d'une trentaine d'années a quitté femme,
enfants, emploi, pays, pour fuir en France en compagnie de son amie,
âgée de dix-sept ans.
Sur demande des autorités
britanniques, il a été arrêté en France et livré à la justice
de son pays. Pourquoi ? Parce qu'en Grande-Bretagne cette relation
est interdite. En France, elle est autorisée. Mais la demande
britannique basée sur les lois de la Grande Bretagne a été suivie
par les autorités françaises.
Bien peu s'en sont ému.
Même certains ont applaudi. Si l'amour entre humains de sexes
différents est malmené à ce point, dans l'indifférence
quasi-générale, comment voulez-vous que l'amitié entre humains de
sexes différents se porte bien et prospère ?
Comprendre ces choses
c'est déjà commencer à les changer.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 28 avril 2013
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