La morale sexuelle
dominante de la société française et parisienne où je vis brille
par son rigorisme et son formalisme. Les choix sont tranchés. Les
nuances sont absentes.
Si je dis « je
t'aime » à quelqu'un. Si on s'embrasse sur la bouche. Dort
dans le même lit. Échange des caresses. Si éventuellement, mais
pas toujours, on baise, etc. On est forcément :
Des
« amoureux », ce qui signifie qu'on doit baiser
régulièrement. Vivre ensemble. Faire des enfants et les élever.
Ou
alors on est seulement des « amants ». Ce
qui signifie qu'on doit baiser régulièrement.
Ou
c'est juste une « passade ». On va baiser durant
quelque temps. Puis on va arrêter.
Il n'existe aucune
autre éventualité possible. Si on prétend être autre chose qu'un
de ces trois cas précis, c'est forcément impossible, inimaginable,
ou inadmissible, condamnable. C'est le désordre, la débauche, le
libertinage. On fait « n'importe quoi » etc.
Cette morale a un
caractère intolérant, étroit, terroriste, dictatorial. Si j'aime
une fille, je dois coucher avec et en avoir envie. Parce que c'est
bien, indispensable, normal. C'est ce qu'elle veut, etc.
Il se trouve que j'aime
une femme. Et ne désire aucunement pratiquer l'acte sexuel avec
elle. J'en fais part à mon plus ancien ami, pourtant plutôt
généralement ouvert d'esprit.
Entendant mon propos, il
est troublé :
« Mais,
faire l'amour, c'est agréable ! dit-il. »
« Oui,
mais je n'en ai pas envie. Si je le fais sans en avoir envie, ce
n'est pas agréable. »
« Mais,
alors, ça veut dire que tu ne la touche pas du tout ? »
« Non,
pourquoi. Je peux lui faire des câlins sans pour autant baiser. »
« Mais
si elle t'aime, tu ne te rends pas compte dans quelle situation
horrible tu la mets ! »
Et mon ami conclut
finalement :
« En
fait, tu ne l'aime pas. »
C'est dire la force des
préjugés.
S'embrasser sur la bouche
signifie soi-disant obligatoirement qu'on baise ensemble. C'est le
sens du baiser sur la bouche des mariés au sortir de l'église. Un
curé parisien officiant la messe de mariage d'un copain, il y a
quelques décennies, a dit devant moi : « A présent, les
mariés sont autorisés à s'embrasser en public devant tout le monde
! »
Ce qui signifiait :
« maintenant qu'ils sont mariés, ils vont baiser ensemble ».
Qu'un tiers se mêle de
la vie sexuelle de deux individus me paraît déplacé. Mais toute
notre belle société tend à se mêler des affaires intimes des
gens. Le quotidien des conversations de quantité de gens, notamment
au travail, consiste à commenter la vie sexuelle supposée de leur
entourage.
La pression normative est
absolument effrayante.
J'ai passé quarante
années à chercher « l'âme sœur ». Je ne la cherche
plus. Vous me direz que je suis désespéré. Pas du tout, j'ai
simplement cessé d'avoir le crâne bourré. Car qu'est-ce donc que
cette obsession de trouver l'âme sœur, l'exact complément idéal
et sur mesures de soi même ?
C'est le fruit d'un
prodigieux matraquage psychologique. Étudions-le à présent.
J'ai écris ailleurs que
l'homme est un singe. Certains ont dit : « l'homme descends du
singe ». D'autres parlent de « nos cousins singes ».
Eh bien non, nous ne sommes pas des descendants ou parents des
singes. Nous sommes des singes à part entière. Absolument,
complètement, totalement singes, tel est ce que nous sommes.
Cette compréhension des
choses doit nous aider à mieux nous comprendre. Le singe est adulte
quand il est capable de se nourrir tout seul. Nous devenons ainsi
adultes vers l'âge de six ans.
Mais, dans la société
organisée où nous vivons, ce n'est pas entendu comme ça. A six
ans, nous ne sommes pas des adultes. Ce sera nié. Et pour faire de
nous des humains « civilisés » et officiellement adultes
bien plus tard, on va s'appliquer à briser le singe en nous. A faire
de nous des êtres soumis, hésitants, dépendants des soi-disant
adultes véritables qui nous entourent. Ce sera long, difficile,
douloureux. Quand nous nous révolterons, on dira que nous faisons
des caprices.
Signe de ce terrible
conflit entre singes, la plupart des singes adultes de six ans vont
perdre leur sens des couleurs, du dessin, de la créativité. Au
départ, ils dessinent tous. Manient de belles couleurs. Imaginent
des histoires. Sont poètes sans savoir écrire. Ça va se terminer
pour le plus grand nombre. L'implacable broyeuse familiale, sociale,
télévisuelle et scolaire se met en route.
Ah ! Certes, on apprend
des choses utiles comme lire, écrire, compter, etc. Mais on apprend
d'abord et surtout à se soumettre et obéir. Marcher en rang, se
taire, ne plus avoir d'initiatives, être bien dressé. En
concurrence avec les autres bien dressés : nos frères, sœurs,
cousins, petits camarades.
Et c'est ainsi que
progressivement on perd son authenticité. Les enfants créatifs
deviennent des adultes productifs. Arrivera un jour où, avec la
capacité de nous reproduire, devenus plus grands et forts qu'à
l'âge de six ans, nous nous révolterons peut-être. Mais nous
serons déjà perdus, paumés par la masse d'indications diverses et
le conditionnement de très longues années de dressage.
Et dans ce cours forcé
les parents seront les dieux. Ceux qui nous donnent à manger. Et
s'occupent de nous. La place démesurée qu'ils occupent dans notre
vie finira par nous déranger la tête. Nous chercherons l'amour de
substitution : le Grand Amour, le Tout-en-Un, la Maman ou le Papa de
substitution. Et où et comment trouver cet être magique et fabuleux
? Mais c'est « l'Amour ! »
Tu aimes X ou Y ? Couches
avec. Épouses-le. Ou épouses-la ! Et tu trouveras le Bonheur. Ce
Bonheur rêvé en fait n'existe pas. C'est juste l'ombre des grands
dieux de notre enfance passée : Papa ou Maman soleil. Cette quête
absurde peut très mal se terminer. Chaque année, contrariés dans
leur recherche de cette chimère, des milliers de jeunes, désespérés,
mettent fin à leurs jours. Il est temps d'arrêter ce massacre.
Expliquer que la vie c'est très beau. Mais aussi que c'est
absolument autre chose que trouver un Papa ou une Maman bis
pour vivre avec. Car le bonheur, par définition, n'est jamais un
phénomène préfabriqué sur mesures. Il est pour chacun unique,
original, évolutif.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 11 avril 2013
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