L'être humain est à la
naissance un pur singe. Quand le nouveau-né rampe à toute vitesse
pour téter le sein de sa mère, il suit l'instinct originel. Il n'a
pas lu un manuel de puériculture.
Dans sa petite enfance,
avec la bouche, la main, la langue, il explore le monde. Parlant de
ma nièce encore bébé, son père plaisantait en disant : « il
n'y a plus besoin d'aspirateur ! » Elle ramassait toutes les
poussières qu'elle pouvait ramasser par terre dans sa maison et les
mangeait.
Question câlins, aussi,
les petits enfants passent le temps à rechercher le contact.
Et voilà qu'arrive l'éducation, la morale, la culture, la religion, les interdits et encouragements de toutes sortes qui vont éloigner le singe de sa propre nature. Le contrarier.
Durant des années le petit humain, connaitra le désert tactile, la carence calinique qui suit le sevrage tactile.
Et voilà qu'arrive l'éducation, la morale, la culture, la religion, les interdits et encouragements de toutes sortes qui vont éloigner le singe de sa propre nature. Le contrarier.
Durant des années le petit humain, connaitra le désert tactile, la carence calinique qui suit le sevrage tactile.
Alors qu'il était
habitué à aller nu, lécher et toucher tout, vient le temps des
interdits : « touche pas ça, c'est sale ! » « ne
te promène pas nu devant les autres ! » etc.
Même montrer la langue
autrement qu'au docteur est reprouvé.
Les années passent. Le
petit humain « civilisé » grandit avec une bombe à
retardement : l'arrivée de la fonction génésique : la capacité
reproductive. Et là c'est le drame.
La fonction génésique
doit s'inscrire au sein de la fonction calinique. Or, elle va
s'éveiller dans un désert. Le nouveau venu en capacité
reproductive va se retrouver totalement désemparé.
Sa fonction génésique
se retrouvant ainsi dépourvue de son entourage calinique m'évoque
une scène imaginaire : un grand restaurant vide, sans clients ni
personnel, au milieu duquel apparaît soudain une serveuse apportant
une tasse de café qui doit clore un repas. Mais il n'y a personne !
Que faire du café ? Le nouveau reproducteur est d'autant plus perdu
qu'il n'a ni les références, ni l'expérience indispensable : celle
des câlins, dont il a été brutalement sevré depuis des années. De
très très longues années à l'échelle de sa vie et sa perception
du temps. Bien sûr, la tasse de café est juste ici une image. Pour
indiquer que le cadre est le restaurant, et la tasse de café y est
subordonnée.
Le jeune ne dispose pas
de définitions des choses, ni des mots, des conduites à tenir comme
cela est le cas dans d'autres domaines de la vie tels que manger,
boire, dormir, déféquer, uriner. Il est seul, ignorant, dans le
vide. Et le pire est que perdu de la sorte il commencera à chercher
à définir des choses, des mots, des conduites à tenir, sans
disposer de références communes avec son entourage, ses
interlocuteurs. S'il pense au pain ou parle du pain, il peut
s'entendre et se comprendre avec autrui. En revanche, s'il pense à
l'amour, au désir, aux caresses, il se retrouve à inventer ses
propres définitions, qui forcément ne correspondent pas à celles
qu'ont imaginé de leur côté les autres. D'où quasi impossibilité
de communiquer.
Confusément il ressent
une très grande détresse. Ainsi, une amie se plaignait à moi :
« ma mère ne m'a jamais fait de câlins. » Pourquoi
diable paraître souffrir à quarante ans passés de cette absence de
câlins durant l'enfance ?
Parce qu'en fait il
s'agit d'autre chose : le souvenir du sevrage calinique, illustré
par la froideur de cette mère.
A l'inverse une autre
amie se souvenait encore avec ravissement comment son père lui
caressait les cheveux quand elle était petite et malade. Ce
ravissement extrême traduisait bien le souvenir de sa vie avant le
sevrage calinique.
Sans boussole, sans
cartes, sans mots, sans interlocuteurs, ne sachant que faire, où
aller, le jeune que travaille la pulsion génésique est pris sous le
feu combiné de son ignorance et des délires de la société
concernant la prétendue « sexualité » en fait élargie
à un tas d'autres choses.
Le toucher, déjà
prohibé, le devient encore plus. Le moindre geste en ce sens est
qualifié de « sexuel ». Toucher la main de quelqu'un est
assimilé à « une avance ».
Augmentant la confusion, l’interprétation mécaniste et stupide de la physiologie fait que :
par exemple, une érection est assimilée à l'envie, le besoin, le
bienfait, la nécessité de rechercher le coït. Alors que les érections sont le plus souvent non intromissives. C'est-à-dire ne
sont pas axées sur la copulation. Rien à faire, abruti et ignorant,
l'individu en érection va chercher... à obéir à son zizi. Il est
en érection. Il n'éprouve pas l'envie bien spécifique et
particulière de s'accoupler. Mais il va tenter la chose. Pour peu
qu'il rencontre une partenaire ou un partenaire qui raisonne pareil,
il va se passer un accouplement non désiré d'un côté, voire des
deux. Ce comportement absurde va ronger la relation, si elle existe,
et progressivement la détruire.
Il faut, on doit, ça se
fait, ça ne peut pas faire de mal, autant de déraisonnements
conduisant à des lendemains qui déchantent.
La société est
spécialisée dans les discours absurdes sur le sexe : ainsi, deux
« amants » doivent s'accoupler. Cet acte s'apparente à
une sorte de « mise à jour » de leur « relation ».
Pas d'accouplement signifie pas de relation. Alors qu'un accouplement
mal venu ne signifie rien. Et une relation peut ne pas en comporter.
Mais chez les humains le sexe a été « institutionnalisé »
!
Au point que dans
certaines cultures et traditions, la femme qui s'accouple avec un
autre homme que son mari, ou deux hommes qui s'accouplent sont mis à
mort tout ce qu'il y a de plus officiellement. Le nouveau code pénal
iranien a confirmé récemment la lapidation des femmes dites
« adultères » à son article 225. Précisant que si la
lapidation ne pouvait être réalisé, un autre moyen d'exécution
pouvait être choisi.
Pour en venir à de tels
extrêmes, il n'est pas besoin d'être de culture nécessairement
islamique. A Paris, au XVIIème siècle, une femme « adultère »
fut condamnée à la pendaison et ainsi exécutée.
La culture française
n'admet plus de tels condamnations. Et les assassinats commis par
jalousie sont des crimes poursuivis et punis parfois trop légèrement.
Mais notre société reste marquée par une vision culpabilisatrice,
terroriste de la relation dite « sexuelle ». Le sexe
reste une chose « sale ».
Il y a quelques mois,
j'ai assisté à une scène éloquente et révélatrice de ce point
de vue. Deux gamins d'une dizaine d'années cheminaient devant moi
dans une rue de la banlieue de Paris. Soudain l'un d'eux ramasse dans
le caniveau un tampax neuf. Le montre à son compagnon et s'exclame :
« les filles se mettent ça dans le cul, c'est dégueulasse ! »
Et avec dégoût jette l'objet.
Pourquoi « dégueulasse »
? Et dit à un âge où il n'a pas encore de rapports copulatoires.
Dégueulasse, c'est-à-dire sale, dégoûtant, ignoble. Et qu'est-ce
qui est sale, dégoutant, ignoble : le cul des filles. Autant dire
les filles en général. Voilà la culture régnante pour beaucoup
dans le monde où nous vivons.
Mais qu'est-ce qui est
« propre », « pur », dans le sexe ? Difficile
à dire : l'amour peut-être, le mariage sans doute, les relations
« légitimes » surement.
Et que dire alors de la
situation de l'individu de douze, treize, quatorze ans, parfois
moins, parfois plus, que taraude l'aiguillon de la pulsion génésique.
On ne se marie pas à douze ans à Paris !
Et l'aiguillon en
question réveille la souffrance de la carence calinique. Jointe à
l'ignorance, la peur, l'incompréhension causées par des
années sans câlins, où on n'a rien vécu, ressenti, apprécié,
appris, vu. Sinon de nos jours des films pornographiques regardés en
douce sur Internet, de la masturbation en veux-tu en voilà et des
romans à l'eau de rose exaltant « l'amour » vision sirop
d'orgeat dans l'eau sucré avec beaucoup de bêtises dedans.
Le malaise sera vécu
comme une trahison des grandes personnes. On appellera la révolte
que causera ce sentiment « l'âge ingrat ». Au lieu de
chercher la raison de ce phénomène, les grandes personnes se
contenteront de dire : « c'est normal, il - ou elle -
s'affirme, c'est l'âge, ça passera. »
Ah l'amour ! Chercher
l'amour ! Mais oui, chercher à retrouver ses huit ans, quand on en a
quinze. Quête impossible. Quête folle. Quête dangereuse. Les
déceptions dites « amoureuses » conduisent tous les ans
des milliers de jeunes au suicide.
Chez certaines très
jeunes filles, le sentiment de bouleversement intérieur
incontrôlable amène à vouloir reprendre le contrôle. Redevenir
maître de soi. Comment ? En décidant de ne plus manger. On est
redevenu maître de soi. Et on fini en mourant de faim. Ça s'appelle
l'anorexie.
Le bouleversement, s'il
arrivait dans l'âme et le corps d'une très jeune fille câlinisée
depuis toujours serait vécu comme un plus harmonieux, agréable. Ici
il arrive dans une âme et un corps martyrisés par la carence
calinique et le poids des règles absurdes d'une société brutale,
sourde et aveugle. Pour peu que la tension engendrée soit
insupportable, la souffrance conduit à rechercher son soulagement
dans la mort.
Ceux qui n'ont jamais
bien supporté le sevrage tactile restent fragilisés à vie. Les
rechutes de « chagrins d'amour » sorte de maladie,
peuvent conduire au suicide à tout âges.
Ou a remplir les services
de psychiatrie de malades chroniques se trainant durant des années.
Malades qui, sans
l'abrutissement des camisoles chimiques, se suicideraient.
L'amour, tel que la
plupart des gens le recherchent, ne peut pas se trouver. Il s'agit de
l'ombre de la vie vécue avant le sevrage calinique. Ombre qui serait
présente en une mystérieuse personne donnée qu'on devrait trouver
et qui nous serait « destinée ». Un vrai discours
absurde, stupide, ânesque, ésotérique, que vantent livres,
magazines, films, poèmes, chansons et autres créations grouillantes
de fantasmes. Devenir la proie des ombres, voilà le destin de
l'individu masculin ou féminin qui s'acharne à rechercher l'amour, et
évite, rejette la vie qu'il ne comprend pas et qui ne la satisfait
pas.
Si on identifie l'origine
de cette quête impossible, peut être parviendra-t-on à y échapper.
Et remettre les pendules à l'heure. C'est-à-dire à l'heure des câlins oubliés. Sinon on est bon pour servir de proies aux
prédateurs humains qui guettent les naïfs pour s'en servir. S'amuser avec. Les manipuler. Puis les jeter quand le jouet a cessé
d'être amusant car il a résisté. Devenir sain dans la société,
c'est d'abord commencer à éviter la fréquentation trop proche de
malades qui vous vident de votre énergie et s'en nourrissent à la
manière des vampires de légendes. Si le bonheur est possible en
amour, alors il est inattendu et prospère loin de la déraison et la
nostalgie qui animent les masses.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 18 septembre 2013
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