Il n'y a rien de plus
agréable pour les humains que les bisous, les léchouilles, les
mordillements, les câlins, les effleurements, les massages, les
caresses. Pourtant, à y voir de près, la quasi totalité des gestes
physiques d'affection sont prohibés par notre culture et souffrent
d'un très pesant ostracisme qui forme une véritable câlinophobie.
Des catégories entières
de la population sont ainsi largement ou totalement privés de câlins
:
Pour les très jeunes
gens, la prohibition des caresses existe bel et bien. En 1993, je me
suis amusé à taquiner une amie parisienne dont le fils âgé de
quinze ans recevait à la maison sa correspondante allemande d'âge
égal. « Et s'ils veulent faire l'amour ensemble ? » lui
ai-je demandé. « C'est un peu jeune », m'a-t-elle
répondu. Donc, exit les caresses.
Les enfants, dès un
certain âge n'ont plus droits aux caresses données par eux aux autres, à
eux-mêmes ou reçues. Deux exemples vieux de plus de vingt ans que
j'ai pu observer : un petit garçon de trois ans lèchent avec
beaucoup de plaisir les mains des adultes qui l'approchent. On lui
apprend à se débarrasser de cette encombrante et gênante habitude
sans lui expliquer pourquoi. Sa sœur, âgée de six ans, au sortir
du bain, d'un doigt adroit commence à se caresser le clitoris sans
se sentir dérangée par la présence d'adultes auprès d'elle. Son
père fait une expression fortement réprobatrice. Elle arrête
aussitôt.
Les personnes âgées
sont victimes de la câlinophobie. En mai 1968 sortait à Paris un
journal satirique illustré : « L'Enragé ». Il
proclamait dans son premier numéro : « Les jeunes font
l'amour, les vieux font des gestes obscènes ». D'une manière
générale, les personnes âgées, en particulier les dames, sont
privées de caresses dans notre société. Celles-ci sont la plus
grande partie du temps « réservées » aux jeunes.
Une autre catégorie est
ostracisée : les personnes moches physiquement. Essayez, si vous
êtes très laide de trouver quelqu'un qui veuille bien vous faire
des câlins !
Il est très souvent
extrêmement mal vu que des personnes gravement handicapées se
fassent des câlins. Ou en échangent avec des personnes non
handicapées.
Le statut des caresses
entre personnes adultes de même sexe est particulier. Celles-ci bien
souvent n'osent pas s'en faire en public. J'observais un couple
d'hommes hier dans le métro. On les sentait gênés d'exprimer
visiblement leur amour. Ils n'osaient même pas se tenir par la main.
Quand il s'agit de
personnes appartenant à deux couples hétérosexuels différents, ou
d'une personne approchant une autre vivant en couple avec une
troisième, les câlins publics pourront être très mal vus,
assimilés au libertinage, à la tromperie, l'infidélité.
La base fondamentale de
la câlinophobie est que les câlins sont admis s'ils sont
subordonnés impérativement à la reproduction d'enfants légitimes.
En conséquence, les câlins sont proscrits entre les personnes
incapables d'assurer ensemble une descendance reconnue comme
légitime. S'ils sont de même sexe, trop jeunes, trop vieux ou pas
habilités pour devenir parents. Moches ou handicapées et sensées
de ce fait ne pas pouvoir concevoir de beaux enfants. Telle est la
base des règles qui régissent la privation de câlins entre humains
dans le monde où je vis. C'est-à-dire dans l'agglomération
parisienne d'aujourd'hui. Les câlins sont pourtant une véritable
nourriture affective et tactile indispensable à l'équilibre de
chacun.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 7 février 2013
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