Le monde où nous vivons
est largement imprégné par les fables de la pornographie. Le marché
de la pornographie a, depuis ses débuts, monopolisé plus de la
moitié de tout le trafic Internet. Ce marché, très rentable, offre
textes et surtout films et photos. Qui ont pour fonction d'aider les
internautes mâles à parvenir à l'éjaculation en se masturbant.
Les femmes l'utilisent également. Ces masturbations sont sensées
compenser le manque de partenaires sexuels. Comme l'indiquent
quantité d'annonces accrocheuses sur les sites Internet
pornographiques : « Marre de te branler ? Baise une vraie femme
! » Suit l'adresse d'un site ou un numéro de téléphone
sensés fournir rapidement une femme qui ne rêve qu'à baiser. Et
n'arrive pas à trouver de partenaires.
Cette manière de
présenter la masturbation est très largement fallacieuse. En
vérité, on ne se masturbe pas pour compenser le manque de
partenaires sexuels. La vraie raison peut être l'ennui ou le manque
d'amour au sens large de ce terme. Je vais en offrir deux exemples
illustratifs.
En 1978, j'ai travaillé
comme préposé à la poste. J'étais guichetier chargé de
l'affranchissement à l'annexe une de la poste centrale du
quatorzième arrondissement de Paris, tout près de la porte
d'Orléans. Voilà que, pour travaux, l'annexe ferme. Non loin de là,
boulevard Brune, je me retrouve tantôt au bureau des recommandés à
reporter à la main au stylo sur des cahiers les références de
lettres recommandées. Tantôt à trier des lettres en les mettant
dans des casiers. Je me rappelle encore le cri du chef : « TG,
grosses ! » quand il s'agissait de trier les enveloppes de
grands formats dans des casiers de grands formats. Les collègues
étaient sympathiques. Le travail était répétitif, mortellement
ennuyeux, débutant trop tôt le matin, sous prétexte que les
sociétés avaient besoin de leur courrier dès huit heures. Je
regardais la pendule. Et, en début d'après-midi, pour supporter
mieux les heures passées à s'emmerder au boulot, quoi de mieux que
s'isoler aux toilettes soi-disant pour pisser ou chier. Et se faire
en solo dans la tranquillité des cabinets à la turque une bonne
branlette ? Je n'étais certainement pas le seul à choisir ce
dérivatif manuel à l'ennui du salariat.
Un célèbre tract sorti
en 1972 dans les lycées parisiens, qui valut des ennuis à ses
signataires, proclamait que la masturbation pouvait agréablement
meubler une après-midi de cours ennuyeux.
A part l'ennui, la
masturbation est aussi provoqué par le manque d'amour dans un sens
large.
J'ai découvert le
toucher en 1986 à la faveur d'un stage de massages. A l'époque, je
me branlais régulièrement, comme le font des millions d'hommes, qui
ne l'avouent pas comme je le fais ici. Il se trouve qu'après avoir
passé une semaine à masser et être massé au sein d'un groupe
essentiellement féminin, où nous étions trois hommes, durant deux
semaines je n'ai ressenti aucune envie de me branler. Ni de regarder
des images érotiques. J'ai également remarqué, il y a bien
longtemps, que si je passais simplement une agréable soirée à
converser avec des amis, j'oubliais complètement de procéder à mon
alors quotidienne branlette.
La pratique de la
masturbation à grande échelle dont témoigne Internet est donc
l'expression non de la détresse sexuelle, mais surtout simplement du
manque affectif. Qui est très grave. Ce manque affectif est éclatant
rien qu'à voir les voyageurs des rames du métro parisien. Ils
n'osent pas se regarder ou guère. Ne s'adressent pas la parole.
S'excusent s'ils effleurent même très légèrement leur voisin ou
voisine. Profitent de l'affluence pour se frotter aux autres en
faisant semblant de ne pas le chercher. Et comment pourraient-ils
satisfaire leur manque affectif ? L'autre jour, je contemplais avec
désir une jolie jeune fille se baladant quasiment nue chez elle. Si
je lui avais dit : « je voudrais te caresser », elle
aurait pu se fâcher. Et si elle avait accepté, elle aurait voulu
aussi que je lui « fasse l'amour ». J'avais juste envie
de la caresser. De plus elle est très jalouse. Alors, je n'ai rien
fait.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 13 janvier 2014
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