La première fois qu'une
jeune fille s'est montrée exprès nue devant moi, elle m'avait
invité à assister à son bain. Quand elle est sortie de la
baignoire, et que face à moi elle s'essuyait, elle était à portée
de mains. J'ai eu envie de lui toucher les seins. Et ne l'ai pas
fait, parce que je me suis dit : « non, ça ne se fait pas ».
Je m'étais inventé l'obligation de ne pas toucher les seins d'une
jeune fille qui avait choisi de s'exhiber nue devant le jeune homme
que j'étais. A cet instant-là, j'ai eu aussi l'envie de la voir nue
de dos. Et n'ai pas osé lui demander de se retourner. A l'instant,
je m'étais inventé l'obligation de ne pas demander à cette jeune
fille de pouvoir la contempler ainsi. Que ce serait-il passé si je
n'avais pas été ainsi pétri d'obligations imaginaires ? Je serais
peut-être aujourd'hui grand père et également grand oncle, car la
jeune fille, c'était ma sœur.
S'inventer des
obligations est un grand classique. Bien des années après cette
scène de bain, j'ai eu une petite amie qui avait une mauvaise santé.
Elle allait souvent voir les docteurs. Et fréquentait les services
hospitaliers. Au début de notre relation, pour lui faire plaisir, je
l'accompagnais. Puis, je l'ai fait par habitude. Enfin, je le faisais
parce que je m'y sentais obligé. Je m'étais inventé l'obligation
de l'accompagner. Quand elle m'a quitté, elle m'a dit qu'entre
autres raisons pour le faire elle se sentait trop protégée par moi.
Souvent, sans le réaliser
clairement quantité de personnes s'inventent des obligations. Si
vous vous dites : « mardi prochain à dix heures je me rends à
tel endroit », vous pourrez, le jour venu, faire de grands
efforts pour rester fidèle à ce projet. Et, pourtant, il se peut que
rien ne vous oblige à vous y conformer. Excepté ce plan, fruit de votre
imagination à un moment-donné. Et peut-être qu'en vous
introspectant, sans dommages particuliers, vous pourrez vous
« déprogrammer ». Et vivre bien mieux la situation. Par
exemple, en vous disant que vous pouvez arriver une heure plus tard
que prévue. Ou reporter ce déplacement à la semaine ou au mois
d'après.
A chaque fois qu'une
action vous presse, il est utile de se demander très précisément
pourquoi. Comment on y a pensé. Et si c'est vraiment nécessaire de
la faire à ce moment-là.
Un exemple historique
fameux d'obligations imaginées et suivies, est donné par le célèbre
projet Manhattan de réalisation de la première bombe atomique. Au
départ, ce projet avait pour origine la volonté de physiciens
communistes. C'était la guerre contre le nazisme. Ces physiciens
souhaitaient donner aux États-Unis l'arme atomique avant que
l'Allemagne nazie ne l'acquiert. La bombe atomique n'était pas encore
utilisable, quand l'Allemagne nazie a capitulé le 8 mai 1945. Il n'y
avait alors pour ces physiciens plus aucune raison de continuer sa mise au point.
Au lieu de stopper leur
recherche, ils ont travaillé avec encore plus
d'acharnement. Finalement, la bombe ne fut pas jetée sur
l'Allemagne, mais sur le Japon en août 1945.
Pourquoi avoir voulu
continuer ainsi ce travail ? Parce que ces chercheurs se comportaient
comme s'ils avaient été mus par une obligation. Qui, après le 8
mai 1945, était en fait devenue imaginaire. Et a causé des dizaines
de milliers de victimes japonaises à Hiroshima et Nagasaki.
Les obligations
imaginaires liées à des titres, des situations, des valeurs
fausses, conduisent à faire des efforts, parfois très grands, dans
de fausses directions. Avec quelquefois les encouragements d'autres,
qui croient que ces directions sont justes. Il faut penser par
soi-même. Et savoir absolument tout remettre en question, y compris
les certitudes les plus profondes et indiscutables, les valeurs
apparemment les plus justes. Et savoir emprunter des chemins réputés hasardeux quand ceux-ci se révèlent finalement franchirent
des frontières ignorées et mener aux vérités recherchées.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 6 janvier 2013
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire