Vers
1964, l'année de mes treize ans, je remarquais quelque chose de
bizarre qui m'intrigua. J'habitais alors le quatorzième
arrondissement de Paris. Quand je sortais de la maison, la plupart du
temps avec ma mère, je regardais les personnes que je croisais. Or,
il me sembla que je suscitais chez certaines d'entre elles une
réaction incompréhensible : elles baissaient systématiquement les
yeux ! Ces personnes étaient les jeunes femmes. J'entrepris de
vérifier si c'était effectivement le cas. Et, chaque fois que nous
croisions une jeune femme, m'appliquais à la fixer droit dans les
yeux. Et, oh stupéfaction ! effectivement, les jeunes femmes
baissaient alors systématiquement les yeux ! C'était inexplicable.
Mise à part une jeune femme que je croisais entre les deux squares
de la mairie, elles réagissaient toutes pareillement.
Il y a cinquante
ans, c'est ainsi que les Parisiennes réagissaient dans mon quartier.
Neuf ans plus tard, en 1973, je fis une autre constatation dans ce
domaine : pour la première fois, je m'en allais par les rues du
Quartier latin une jeune fille au bras. C'était ma petite amie. Et
alors je remarquais que les jeunes femmes que je croisais
n'hésitaient pas à me regarder ouvertement. C'était comme si le
fait d'être accompagné ainsi m'avait en quelque sorte neutralisé.
Aujourd'hui, le
monde a changé, les jeunes femmes dans Paris n'hésitent pas à vous
dévisager. Mais il faut se souvenir comment était il n'y a pas si
longtemps que ça le monde où nous vivons.
L'arrivée de la
contraception, l'autorisation de l'avortement et une certaine et très
incomplète émancipation des femmes n'ont pas forcément rendu plus
lucides un grand nombre d'hommes. En tous cas ils ont vu dans cette
modification des choses l'assurance que le monde était devenu pour
eux comme un immense bordel gratuit. Ils n'ont pas réussi à
comprendre qu'en ne respectant pas les femmes pour ce qu'elles sont,
c'est-à-dire des êtres humains à part entière, ils ne se
respectaient pas eux-mêmes.
Dans les années
1970, dans le milieu de jeunes que je fréquentais, les relations
homme-femme avaient pris une tournure caricaturale. Il semblait qu'à
l'obligation de dire non aux propositions sexuelles avait succédé
une obligation de dire oui.
Trop timide et
sentimentale je restais à l'écart de ces jeux-là. Mais observais
ce qui se passait. Un jeune Mexicain très sympathique remportait
beaucoup de succès et additionnait ses conquêtes. Tout allait au
mieux pour Jorje, c'était son prénom. Jusqu'au jour où il
entrepris de séduire la belle Jacquemine. Là, il tomba sur un os.
La belle Jacquemine ignorait superbement les nouveaux codes en
vigueur. Elle avait son ami attitré. Et quand bien-même celui-ci
était absent, elle ne s'avisait pas de tomber dans les bras d'autres
garçons ! Et voilà notre Jorje malheureux... il tombe amoureux de
sa proie inaccessible.
Une autre fois, je
participais à l'assemblée d'une association de jeunes. Et, tout à
fait en dehors des questions débattues, voilà une jeune femme qui
monte à la tribune et explique qu'elle trouve choquant que tant de
garçons soient à l'affut pour lui sauter dessus ! Il suffirait,
dit-elle, que je dise que je suis prête à sortir avec quelqu'un
pour que trois ou quatre veuillent le faire, ça n'est pas normal.
Dans sa réponse, le responsable de l'association a éludé en disant
même des grossièretés du style : « si tu te plains que ton
cul a du succès, tu ne devrais pas te plaindre ».
En fait, ce qui
troublait à juste titre cette jeune femme, c'était ce consumérisme
sexuel régnant où choix et sentiments semblaient disparus. J'en ai
entendu un écho de cette période des années 1970. Plusieurs
dizaines d'années après, un ami qui fut un terrible cavaleur m'a
raconté ceci : un jour, avec d'autres amis, garçons et filles, ils
avaient décidé de faire une sorte de groupe sexe. C'est arrivé une
fois. Et ce jour-là, cet ami avait, sans désir, ni amour, fait la
chose avec une amie à lui. Le pauvre ! il paraissait ne pas s'en
être remis jusqu'à présent. Il s'interrogeait encore et se
demandait ce qui lui était arrivé ce jour-là.
Contrairement
à ce que croient ou font semblant de croire certains, l'acte sexuel
n'est pas un acte anodin.
Une
étudiante iranienne de Paris m'a raconté une anecdote peu connue de
ces années 1970. Cela s'est passé dans une grande université
américaine.
Un
jour, des étudiantes en ont eu marre. Se sont concertées et ont
sorti un tract où elles détaillaient les « performances
sexuelles » comparées des plus fameux « coqs » de
leur université ! Ça a fait une impression horrible et leur tract a
très vite disparu de circulation !
Basile,
philosophe naïf, Paris le 4 janvier 2014
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