Qu'est-ce que la fête ? C'est s'amuser à
plusieurs. Cela apparaît simple, agréable, facile à envisager et
préparer. Mais il existe des obstacles. Parmi ceux-ci quelques-uns
que j'ai eu l'occasion de rencontrer.
L'oubli de la fête succédant à sa perte amène
paradoxalement à rendre peu évident et très difficile à faire
renaître la chose la plus simple qui soit : la goguette. Un groupe
de moins de vingt participants, se rencontrant ponctuellement pour
rire, bavarder, boire, manger, chanter des chansons, créer des
chansons.
Il y a quelques mois j'essayais le lancement d'une
goguette. Nous démarrions à un nombre largement suffisant, entre
six à neuf personnes. Mais voilà : il aurait suffit en se
rencontrant de chanter chacun. J'avais invité à choisir sa chanson,
l'amener et la chanter. Ça n'est pas arrivé, pourquoi ? Parce qu'un
d'entre nous, très sympathique, nous a déclaré d'emblée :
« chanter, je veux bien. Mais ce qu'il faut c'est un vaste
groupe organisé, avec un chef, une discipline, qui prépare des
prestations musicales. sinon ça n'a pas d'intérêt de simplement
s'amuser. Ça marche juste un coup : c'est "la fête à
Ginette". Après on se lasse et ça s'arrête ! » Alors,
chacun d'imaginer en théorie le groupe rêvé, et... à part faire
connaissance ensemble très agréablement, on n'a rien fait.
Le motif de cet échec a été de vouloir de
l'efficacité, des prestations, de la discipline, un chef... alors
que la goguette c'est un groupe où on se retrouve et on est heureux
en chantant. Ce groupe, base de la fête jadis en France doit
absolument rester petit et donne alors un très grand résultat.
C'est en tous cas comme ça que ça fonctionnait en plein d'endroits.
Et fonctionne encore aujourd'hui à Dunkerque et dans les villes
alentours.
Vers le même moment, j'ai vu un autre de mes
projets festifs se heurter à un obstacle qui l'a bloqué. De 1898 à
1914 inclus a existé une société festive étudiante universelle,
ni politique, ni religieuse, ni humanitaire, ni syndicale, ni
commerciale : la Corda Fratres. Ce qui signifie en latin « les
Cœurs Frères ». Une de ses activités était l'échange et
l'hébergement réciproque entre étudiants. Cette société
étudiante a très bien fonctionné et disparu suite à des
faiblesses organisationnelles internes et des problèmes politiques.
J'en parle à deux étudiantes qui paraissent enthousiastes pour la
relancer. Une date de réunion de lancement est fixée.
Quelques temps après, il n'y a plus personne. Les
deux étudiantes sans donner de motif valable disparaissent dans la
Nature, pourquoi ? Parce qu'elles ont eu peur. Elles ont vu un défi
trop grand. Au lieu de démarrer en petit pour grossir ensuite en
respectant principes, formes et rythme, elles se sont dit : « Oh
la la ! Une association mondiale à faire renaître, c'est trop de
boulot pour moi ! »
Mais il s'agissait de mettre en avant la lettre a,
pas tout l'alphabet d'un coup ! La raison de l'échec ici est de voir
trop grand. Créer à son échelle une structure festive qui apporte
du bonheur, même si elle est microscopique, vaut mieux que se fixer
des objectifs grandioses qui vous débordent et vous paralysent. On
peut démarrer à dix un très grand projet, qui s'étoffera en
marchant et au fur et à mesure de l'arrivée de nouveaux
participants.
Une de ces deux étudiantes croyait trouver une aide
en s'adressant à l'ambassade de son pays à Paris. Croire qu'on va
faire avancer la fête en se tournant vers des structures étatiques
est une profonde erreur. La fête réunit. Les directions politiques
des états reposent sur la politique, qui divise. La fête populaire
authentique sans autre but que s'amuser et l'état sont deux choses
parfaitement étrangères l'une à l'autre. Ce qui explique que,
comme j'ai pu le constater, la plupart du temps la plupart des
politiques ne comprennent pas la fête vivante.
Troisième obstacle à la fête que j'ai rencontré.
« Tu veux faire le Carnaval ? » me disait un ami. « Il
faut créer une association, faire une quantité d'adhésions, des
réunions, avoir une administration ». C'est là une vision
bureaucratique et centralisée de la fête. Elle ne mène pas à la
fête.
Toutes ces visions erronées de la fête, sa
préparation, naissent de l'interruption des traditions festives.
Elles rendent plus difficile leur redémarrage. Mais ces obstacles
peuvent être surmontés en faisant preuve de clarté, assurance,
calme, patience et persévérance. La goguette, la Corda Fratres et
le Carnaval, comme hier, demain nous surprendront, charmeront encore.
Basile, philosophe naïf, Paris le 3 janvier 2013
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