Les humains oscillent
entre le bonobo et l'ascète. Ils ont, au fond d'eux-mêmes, un
besoin criant de caresses et bisous. Et, opposé à ce besoin, la
grande voix de la « Civilisation » qui leur intime
l'ordre de ne pas « faire n'importe quoi ». Traduisez :
ne pas toucher l'autre, ni se toucher d'ailleurs. Ce besoin de
caresses, ce bonobisme, est omniprésent. Ce terrible manque
de câlins est semblable par sa présence forte, universelle et
invisible à la pression atmosphérique. On ne la sent nulle part en
tant que telle. Mais il suffit de pomper accidentellement le contenu
d'une citerne jusqu'à faire involontairement le vide dedans, pour la
retrouver écrasée et constater que la pression existe.
Il arrive que des humains
imaginent créer un oasis bonobiste. Un lieu d'échanges et
partages libres de caresses. Deux obstacles à cette démarche vont
alors surgir : d'une part, la confusion entre la recherche de câlins
et l'organisation de partouzes pures et dures. D'autre part : il ne
sera pas si facile que ça d'organiser de tels oasis.
Dans les années 1910, de
jeunes allemands avaient tenté l'expérience en Suisse. Dû moins on
peut l'imaginer en visionnant les photos de groupes qu'ils ont laissé
: nus, ensemble dans la Nature. En juin 1968, j'ai vu rendre visite à
ma famille une jeune femme norvégienne prénommée Inger. Elle était
la secrétaire d'un célèbre metteur en scène français très
engagé politiquement contre le gouvernement français du général
de Gaulle. Inger a proposé à ma mère que ma sœur et moi allions
séjourner dans une propriété champêtre avec quantité de gens
très gentils. Ma mère, avec une très grande naïveté était
d'accord de voir sa fille de 20 ans et son fils de 17 partir profiter
d'une si belle occasion. Elle n'avait pas du tout compris qu'il
s'agissait d'une communauté sexuelle libre... Inger, prise de
scrupules et craignant peut-être aussi une catastrophe, s'est sentie
obligée de préciser à ma mère que là où nous irions « la
sexualité était très libre ». Nous n'y sommes pas allés.
Il y a environ quinze ans
de cela, un poète connu avait pensé créer une sorte de république
des caresses. Dans le cadre champêtre de cours de théâtre,
lui, unique adulte entouré d'un groupe de jeunes filles,
encourageait tout le monde à caresser tout le monde. Et aussi à
faire l'amour. Le problème est que son aréopage caressant était
très largement mineur. Quand l'affaire a éclaté, il s'est retrouvé
tout d'abord durant un an en prison préventive. Puis il a pris six
ans fermes dont il a passé quatre enfermé. On ne plaisante pas avec
ces choses. J'ai lu une interview du poète faite par la suite. Il ne
semble toujours pas avoir exactement compris ce qui lui est arrivé.
Il a cru pouvoir renouer tranquillement avec la société singe
dans le cadre bien organisé, contrôlé et surveillé de la société
humaine. Organisation, contrôle et surveillance auxquels souscrivent
la grande majorité des gens.
En Allemagne, un jeune
homme a aimé sa sœur tant et si bien qu'ils ont eu ensemble deux
enfants. Résultat, il a passé trois années derrière les barreaux.
Chez nos voisins teutons on ne plaisante pas avec ces choses-là. L'inceste, même consentant, est un délit criminalisé.
L'autre jour j'étais
dans un bus en banlieue parisienne. Un jeune homme, pour une raison
que j'ignore était bras nus juste devant moi, alors que nous sommes
en hiver et tout le monde est actuellement plutôt couvert. J'ai eu
l'envie de lui caresser un bras. Bien sûr, je ne l'ai pas fait. Cet
inconnu l'aurait mal pris, ou alors l'aurait pris pour une avance
homosexuelle, ce qui n'était pas le cas. C'était juste du
bonobisme. Je l'aurais fait dans un bus à Téhéran ou
Kaboul, nous risquions la peine de mort. Car en Iran et Afghanistan
celle-ci sanctionne aujourd'hui l'homosexualité. Des couples gays
finissent régulièrement pendus pour avoir échangé des bisous.
Dans notre société, que
faut-il choisir ? L'ascétisme ou le bonobisme ? Je
répondrais : l'ascétisme dans 85 % des cas, le bonobisme
dans les 15 % restant, de préférence dans un couple.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 9 janvier 2013
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