Probablement peu de
Parisiens savent que le mot « magasin » est d'origine
arabe. Il vient du mot arabe makhâzin,
pluriel de makhzin,
qui signifie « entrepôt » ou « bureau ». Au
nombre des magasins parisiens les plus prestigieux, il y a, bien sûr,
les Grands Magasins.
J'en
ai connu deux qui ont aujourd'hui disparu : les Grands
Magasins du Louvre et La
Samaritaine. Les
premiers ouvrirent en 1855, sous le règne de Napoléon III, et
disparurent en 1974. Les seconds, ouverts en 1869, furent fermées en
2005 sous prétexte de travaux de sécurité. En fait pour permettre
une opération immobilière. La même raison qui a fait disparaître
les Grands Magasins du
Louvre,
qui ont laissé la
place à des bureaux et aux très chics magasins du Louvre
des Antiquaires.
Les
Grands Magasins du Louvre
présentaient une particularité attachante. Ils étaient silencieux.
Quand on y entrait, c'était un oasis de calme. Par terre, la
moquette étouffait le bruit des pas. Et aucun haut parleur ne venait
vous agresser avec de la musique ou des slogans publicitaires.
Les
Grands Magasins comportaient il y a plusieurs dizaines d'années une
quantité extraordinaire de vendeurs. Si on s'y promenait et on avait
le malheur de s'arrêter momentanément près d'un rayon, presque
aussitôt un vendeur ou une vendeuse vous abordait pour vanter sa
marchandise. Ma mère, qui n'avait pas un sou, et se promenait avec
moi dans les Grands Magasins, avait horreur de ça.
Un
jour, ça devait être dans les années 1970 ou 80, j'ai lu dans le journal
que le propriétaire du Bazar
de l'Hôtel de Ville, le
célèbre BHV,
était mort. Et, suite à cela, on vendait et dispersait aux enchères
une fabuleuse collection de meubles de style qu'il avait accumulé
tout le long de sa vie. Cette information m'a rendu mélancolique,
car je me suis dis alors :
« Et
dire que, durant des dizaines d'années, des centaines d'employés du
BHV
sont venus travailler, courant sous la pluie les jours d'hiver, se
levant le matin quand ils étaient crevés, se faisant engueuler par
leurs chefs, s'ennuyant des journées entières à leur travail,
pour... bien sûr, gagner leur vie, faire marcher le magasin, mais
aussi pour qu'un monsieur qu'ils ne connaissaient pas puisse
satisfaire son désir futile d'accumuler un tas de meubles très
chers qui, à présent, vont être dispersés. Tout ça pour ça. Tous
ces efforts, ces soucis, ces ennuis pour mettre ensemble une masse
d'objets qui vont être à nouveau séparés ! »
A
quoi leur sert leur argent, aux très riches ?
Il
peut servir à accumuler une collection. J'ai vu une émission de
télévision il y a quelques années où on parlait de la collection
de montres de prestige. Celles-ci comportent un mécanisme mécanique
et coûtent des prix très élevés : plus de 30 000 euros pièce, soit, à l'époque où j'ai regardé l'émission, le prix
d'un studio à Paris.
Les
collectionneurs de ces montres en possèdent des dizaines. Quelle
absurdité ! Elle arrange bien les marchands de telles montres.
Pendant que des centaines de millions de gens ont du mal à joindre
les deux bouts, quelques-uns se gargarisent de la vue d'un tas de
montres hors de prix qui leur « appartiennent »... et que
leurs héritiers s'empresseront de vendre et disperser quand ils
seront morts.
Un
jour, me promenant à Turin, je suis tombé par hasard sur une vente.
Il
y avait là des dizaines de personnes forts bien habillées qui
venaient dépenser des sommes d'argent considérables pour emporter
chez eux de microscopiques rectangles de papier coloré.
On
l'a compris, il s'agissait de philatélistes riches.
Une
fois encore, devant cette scène, je méditais sur le sort des
pauvres comparé à ces lubies de riches. Un petit morceau de papier
échangé contre une somme d'argent qui pourrait nourrir une famille
nombreuse affamée durant plusieurs semaines...
Mais
à quoi sert l'argent des riches, des très riches ?
Le
milliardaire américain Henri Ford disait : « Si riche que je
sois, je ne pourrais jamais faire plus de trois repas par jour. »
Un
autre milliardaire américain, Mellon, je cite de mémoire, aurait
dit : « La fortune ne m'a donné ni l'amour, ni l'amitié, ni
même une bonne digestion. Quand je vois un couple d'amoureux, je
suis jaloux. »
Alors,
quel usage font-ils de leurs millions, milliards ?
Les
riches doivent bien en faire quelque chose. Et il y en a de plus en
plus. Le nombre de milliardaires augmente chaque année. Le nombre de
pauvres aussi, et bien plus rapidement.
Une
poignée de milliardaires dans un océan de pauvres.
Les
milliardaires sont atteint par une maladie sociale : le hamsterisme.
Ce
mot désigne l'amour des hamsters. Mais ici dans le sens de chercher
à leur ressembler.
Le
nom du hamster provient de l'allemand hamstern,
qui signifie « faire des réserves ». Car cette
sympathique petite bête possède une très bizarre particularité :
elle amasse une quantité prodigieuse de graines dans son terrier,
des kilos et des kilos. On a trouvé jusqu'à 90 kilos de graines
accumulées dans un terrier ! Et après avoir accumulé tout ça pour
l'hiver, le hamster hiberne et dort. Ses graines ne lui servent à
rien, sauf à le rendre extrêmement nuisible aux yeux des
agriculteurs.
Les
très riches humains se conduisent exactement comme des hamsters. Ils
font du hamsterisme.
Passé leurs goûts de luxe, leurs collections, leurs fêtes, ils
accumulent, accumulent, accumulent, des masses d'argent qui
ne leur servent à rien.
Pendant qu'une multitude de pauvres crèvent de faim, ils dorment sur
leurs tas d'or.
Le
hamsterisme est un problème majeur de la société humaine. Il y a
dans le monde où nous vivons des millions de hamsters qui accumulent
des sommes fabuleuses pendant que des centaines de millions de non
hamsters sont dans la misère et leur nombre s'accroît chaque année.
Regardez
ces gens qui touchent des revenus en millions d'euros. Ce sont des
hamsters. Les milliardaires ? Encore des hamsters.
Il
existe aussi de très petits hamsters, je les appellerais des
hamsterions.
Ce ne sont pas des gens très riches, mais qui accumulent des sommes
importantes à leur échelle et n'en font strictement rien. Ils
suivent le mauvais exemple qui vient d'en haut. « Le poisson
pourrit par la tête » comme disaient les anciens Chinois. Il
faudrait faire en sorte que l'accumulation très importante d'argent
pour le seul plaisir de l'accumuler soit impossible, interdit, car il
crée la misère du plus grand nombre. Que l'argent accumulé perde
toute valeur et que le fléau du hamsterisme disparaisse une fois
pour toute.
Basile,
philosophe naïf, Paris le 3 janvier 2013
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