« Tu n'as pas été à l'école, mais alors,
comment as-tu fais pour apprendre à lire ? » m'interrogeait
récemment un enfant. Car, pour s'acculturer aujourd'hui, on nous
fait croire que seule l'école existe. C'est là une des affirmations
de la pensée unique dominante.
Aller à l'école ou être ignorant. Si on n'arrive
pas à apprendre à l'école, on dit que l'élève est « en
échec scolaire ». Il n'est jamais question d'échec de
l'école.
L'acculturation passerait forcément par un système
qui lève aux aurores les petits, et les garde enfermés une bonne
partie de la journée. Mais si l'acculturation est une bonne chose,
pourquoi se ferait-elle uniquement à travers un système que nous
connaissons. Et auquel j'ai échappé ?
Certes, mon parcours est particulier. Je n'ai connu
une salle de cours qu'à partir de l'âge de 19 ans. J'ai appris
quantité de choses, dont la lecture, à la maison, dans ma famille.
Suis-je plus ignorant pour autant que ceux qui sont passés par
l'école ? Dans nombre de domaines je ne pense pas.
On peut donc apprendre autrement qu'à l'école.
Mais on a l'habitude de voir proposer le choix obligatoire :
« l'école ou l'ignorance ». C'est une interprétation
fallacieuse des choses. Certaines situations hors de l'école
correspondent effectivement à l'ignorance, d'autres non.
En France, on entend parler de l'école de Jules
Ferry. Qui parle de l'école mutuelle qui existait avant ? Elle a
formé un tas de gens.
La musique et le chant s'apprenait jadis et durant
des siècles en France dans les maîtrises et manécanteries, puis
dans les orphéons. Ces institutions culturelles qui ont prospéré,
on n'en entend autant dire jamais parler.
L'interprétation erronée des choses empêchent de
percevoir la réalité. Ainsi, par exemple, il existe des petits
enfants qui veulent absolument qu'on les porte. Ils hurlent quand on
veut les déposer par terre et s'accrochent aux grandes personnes qui
les portent. On pourrait croire que ces enfants veulent éviter de
marcher. C'est effectivement parfois le cas. Mais, à la base, il
existe une toute autre raison.
Ces enfants cherchent le contact. Dans les bras, ils
l'ont. Et comme on commence de diverses façons à les sevrer
tactilement, ils se révoltent.
L'interprétation des choses peut avoir des
conséquences graves, voire dramatiques.
Une femme et un homme se rencontrent. Se plaisent.
Se rapprochent. Souhaitent rester ensemble le plus souvent possible.
On dit qu'ils sont « amoureux ». En fait, il n'y a pas là
un mais deux phénomènes.
Les deux humains en question peuvent effectivement
se plaire et se convenir. Mais il y a autre chose de sous-jacent, qui
va entraîner des problèmes.
Quand le sevrage tactile intervient quand il est
très jeune, l'être humain commence à développer une résistance,
une sorte d'insensibilité pour survivre à la carence tactile. Il se
dote d'une sorte de « cuir », carapace invisible, qui le
protège du manque de câlins auquel il est contraint de s'habituer.
Il est un peu comme un pompier évoluant dans les
flammes avec une tenue ignifugée. Il ne sent rien de l'ardent besoin
de caresses qui a été tarit de force par l'éducation.
Certains enfants ont du mal à accéder à ce stade.
Une mère disait, parlant d'une de ses filles très jeunes et la
critiquant, énervée : « c'est une liane ».
Le soir, elle faisait une sorte de crise nerveuse
quand on l'abandonnait seule dans son lit. Elle lançait ses membres
convulsivement, s'agitait, était mal. Loin de la prendre avec elle
pour dormir ensemble, la mère cherchait à calmer sa fille sans
s'interroger sur la situation.
Avec le temps, la fille a développé sa cuirasse.
Elle est grande, aujourd'hui. Elle a acquit l'indifférence et la
spécialisation courante que suivent les humains sevrés : absence
d'intérêt pour les câlins et organisation d'un domaine artificiel
baptisé « sexualité ». Où les « câlins »
ont vocation d'accompagner les accouplements avec un partenaire
attitré.
Quand naissent les « sentiments » dit
« d'amour », on constate souvent des comportements
passionnels et perturbés. Quelle en est l'origine ?
Quand l'humain sevré tactilement plus ou moins bien
depuis des années s'ouvre à un autre ou une autre, par force, il
doit déchirer un peu sa cuirasse. Or, aux alentours règne la
pression phénoménal du manque général d'amour entre les humains.
On peut la comparer d'une certaine façon à la pression
atmosphérique. Elle est colossale et invisible, car répartie
également presque partout. Le « presque » désignant les
cas où elle apparaît. Par exemple quand on pompe l'air dans un
récipient, celui-ci est aussitôt écrasé par la pression
atmosphérique invisible habituellement.
La déchirure de la cuirasse peut s'accompagner
d'autres estafilades qui vont laisser pénétrer la pression
extérieure du manque général d'amour. Et causer une sensation
d'urgence, de détresse qui peut être extrême. C'est ainsi qu'un
petit béguin est ressenti comme une grande passion... un besoin
vital. Et quand le petit béguin dit non, c'est l'effondrement moral,
le désespoir. Qui peut conduire à la fuite dans l'alcoolisme, la
drogue, la clochardisation, les conduites à risque, la violence,
voire même le suicide ou le crime passionnel.
C'est dire l'importance de l'interprétation. Il ne
suffit pas d'aimer. Encore faut-il comprendre ce que cela signifie.
Basile, philosophe naïf, Paris le 15 février 2014
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