L'être humain, dans son
fond d'authenticité simiesque, porte en lui une envie folle de
fraternité. Celle-ci explique nombre de ses comportements
apparemment absurdes, excessifs, désespérés, irrationnels.
Au nombre de ceux-ci j'analyserais ici plusieurs suicides.
Au nombre de ceux-ci j'analyserais ici plusieurs suicides.
Un homme retraité se
suicide. Motif évoqué : il ne lui restait plus comme activité que
faire le tour de la cité jardins où il habitait.
Un autre, entré à
l'usine à quatorze ans, gravit tous les échelons possible de
qualifications. Il fini chef de laminoir. L'usine est rachetée par
un concurrent. Qui décide sa liquidation. L'ouvrier qui a passé sa
vie dans cet établissement, s'est consacré à lui, se suicide. Il
laisse une veuve et un orphelin.
Un jeune cuisinier,
passionné par son métier, est engagé dans un très grand parc
d'attractions. Il se retrouve dans un pseudo-restaurant où les plats
arrivent tout préparés dans des sachets de portions individuelles
sous vide. Son travail se résume à les faire réchauffer dans l'eau
bouillante, ouvrir et vider dans les assiettes qui sont portées
ensuite aux clients. Désespéré, il se suicide.
Pour ces trois cas
existent des explications simples. Qui m'apparaissent, réflexion
faite, éloignées des motifs réels.
Les explications simples
étant : le retraité s'ennuyait. Et n'avait plus de raisons de
vivre. L'ouvrier lamineur se retrouvait au chômage. Le cuisinier
était déqualifié.
La vraie, seule et unique
raison des trois était que la fraternité était bafouée. Dans les
trois cas, le suicidé avait réalisé qu'on lui faisait, quelqu'un
lui faisait, subir un sort. Qui témoignait de son absolu mépris,
absolu ignorance de la fraternité. C'est ce sentiment d'être
victime de cette violence, qui les a poussé à mettre fin à leur
vie.
Quand ce sentiment de non
fraternité n'est pas aussi fort, dans les mêmes conditions
matériels et sociales on ne se tue pas. On peut s'ennuyer retraité.
Se retrouver au chômage ou dans un emploi largement déqualifié. Et
tenir le coup.
Autre exemple des
conséquences du refus de fraternité. Un jeune homme apprend par sa
petite amie qu'elle le quitte. Il la tue.
L'explication simple est
la possessivité. Et le non sens de tuer quelqu'un auquel on tient.
Le motif réel est
différent : on est proche d'une personne. Subitement elle vous
quitte. Et apparaît satisfaite et contente alors qu'on souffre. Ce
refus brutal de la fraternité est ressenti comme une agression
insupportable. D'où vient la réaction violente. Qui est bien sûr
totalement injustifiée et injustifiable.
Le besoin ardent de
fraternité conduit à quantité de comportements aberrants. On pense
vivre avec quelqu'un. Dont on partage effectivement une partie de la
vie quotidienne. Cette personne vous fait horriblement souffrir.
Mais, pour rien au monde on ne veut la quitter. Pourquoi ? Parce que
la perspective de quitter, lâcher cette « fraternité »
très largement imaginaire vous terrorise.
D'autres situations
également insensées : on croit séduire, on est séduit ; on croit
protéger, on est dépendant et prisonnier de la personne qu'on croit
protéger. A laquelle on croit être indispensable. Et qui, quand
elle en aura marre de profiter de vous, vous quittera sans remords ni
regrets pour profiter d'un autre.
Les justifications et
excuses qu'on trouvera pour justifier d'accepter d'être
littéralement « dévoré vif » par quelqu'un sont
diverses, innombrables et variées. Au fond, elles recouvrent toutes
la même chose : la fringale ardente de fraternité. Le refus, la
peur de perdre même rien que l'ombre de celle-ci, la présence
imaginaire de celle-ci. Le singe en nous ne peut pas admettre que
cette chose indispensable dont il a naturellement besoin, on la lui
refuse. Son frère n'est plus son frère, mais un étranger qui, dans
le pire des cas, rit de son malheur. Ou qu'il a l'impression
d'entendre rire de son malheur.
La difficulté d'analyser
les comportements vient du phénomène de la pluralité des mondes.
Chacun vit dans le sien. Et le perçoit différemment des autres. A
un Anglais rencontré en vacances, je disais : « le prince et
la princesse de Galles, avant d'être prince et princesse, sont des
êtres humains comme toi et moi ». Il me répondait : « je
ne suis pas d'accord. » Et, pour lui, effectivement, dans son
monde, le prince et la princesse de Galles n'étaient pas des humains
comme les autres.
Quand manque la
fraternité, on voit certains pratiquer la fraternité avec des
objets morts. Un milliardaire a ainsi acheté il y a quelques années
un manuscrit authentique de Léonard de Vinci. Comme ça, il peut
déposer ce précieux objet sur une étagère à portée de main chez
lui. Le prendre. Le feuilleter. Et avoir l'illusion de communier avec
l'illustre savant et artiste. Mais, en réalité, il a juste un
paquet de feuilles de parchemin relié entre les mains. Qu'il a
acheté avec beaucoup d'argent. Qui pourra être revendu un jour. La
fraternité qu'il ressent est absolument factice.
D'autres formes de pseudo
fraternité de compensation du vide existent. Par exemple on
remplacera la fraternité par la fonction sexuelle. On croira qu'en
s'accouplant avec le plus grand nombre de partenaires possible on vit
quelque chose. On ne vit en fait pas grand chose. Et, à force
d'insister dans cette direction, on peut bien finir par commettre des
bêtises, crimes et imprudences. Comme d'agresser sexuellement une
femme de ménage dans un hôtel new-yorkais.
L'insatisfaction générée
par des comportements de compensation pourra être réduite par la
poursuite de mythes. Par exemple, on pensera qu'il existe des
rapports sexuels fabuleux. Qui eux apportent pleine satisfaction. Il
suffirait de faire la rencontre unique de la bonne personne ! Piètre
consolation que la poursuite de ce rêve sexolâtre !
Plus simple et moins
risqué le plus souvent, sera de chercher à compenser le manque de
fraternité par la possession d'argent ou d'objets. Collectionner des
disques, timbres, carte-postales, servira à oublier la dureté du
monde.
Ce qui protège des
conséquences nuisibles du manque de fraternité, c'est conserver
l'amour des autres en général. L'amour devient alors une véritable
assurance-vie contre le désespoir, le suicide.
Même seul on se dit
faire partie de l'Humanité. Qui, en dépit de tous ses manques,
défauts, contradictions, reste fraternelle. Un sourire sincère
entrevu calme toutes les peines. Des gens vous ont fait
souffrir ? Leur souvenir a moins de réalité que le prochain sourire
rencontré. Pour servir de guide, boussole, bouée de sauvetage,
donnez, échangez, faites le bien, sans exagération. Vous vous ferez
ainsi du bien d'abord à vous-mêmes. La fraternité commence par
être son propre frère et l'encourager à fraterniser avec ses
semblables. Là est la vérité. La haine ne mène nulle part.
L'amour raisonnable, car l'amour raisonnable existe, éclaire le
chemin de la vie.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 12 décembre 2013
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