Les riches Romains de la
décadence avaient porté la gastronomie à un point jouissif et
consumériste probablement jamais atteint depuis. Le plaisir gustatif
était déconnecté de la fonction digestive. Mollement allongés,
ils buvaient du vinaigre pour s'ouvrir artificiellement l'appétit.
Puis, dégustaient des plats extraordinaires. Ensuite, pour faire de
la place et continuer à ingurgiter et apprécier, ils se faisaient
vomir. Et rebuvait du vinaigre. Et ainsi de suite.
Nos riches bourgeois de
l'époque de la décadence capitaliste n'ont pas la même approche de
la bouffe. C'est dans le domaine du sexe qu'ils pratiquent « l'amour
à la Romaine ». C'est-à-dire la baise à jet continu.
Car, comme leurs
illustres prédécesseurs romains, les riches bourgeois bien souvent
s'ennuient. J'en ai quelquefois approché.
En 1968, j'ai connu un
peu la famille d'un riche banquier parisien. J'ai à peine vu le
père. En revanche j'ai mieux connu la mère et les deux grands
enfants. La mère passait le temps en buvant de grands et nombreux
verres de whisky assaisonnés de tranquillisants pharmaceutiques. Le
fils avait participé à la fondation d'un syndicat étudiant de
droite et faisait le coup de poing contre les rouges, en attendant
d'hériter de l'affaire de papa. La fille, grande et belle, triste
comme pas possible, nous a déclaré un jour : « les jeunes ?
il leur faudrait une bonne guerre ! »
Neuf ans plus tard, un
camarade des Beaux-Arts m'a fait rencontrer un groupe de jeunes
filles riches. Elles vendaient activement des drogues dures à la
sortie de leur lycée. Et elles draguaient « comme des
hommes ». L'une d'elles m'a demandé si je voulais poser nu
pour elle. Dans ma grande naïveté, j'ai cru qu'elle me demandait si
je voulais poser nu. Et, cette offre ne me convenant pas, j'ai
refusé. C'est seulement quinze ou vingt ans après que j'ai compris
qu'en fait elle m'avait proposé de coucher avec elle. Elle était
immensément belle avec des seins incroyablement fascinants. Mais
même si j'avais compris son vœu alors, je n'y aurait pas donné
suite. La drague pure et dure ne m'a jamais passionné. Je suis et
reste un romantique attaché aux sentiments.
Pour la bourgeoisie
d'hier comme d'aujourd'hui, le sexe représente le plaisir numéro
un. Triste plaisir bien souvent, comme je l'expliquerais plus loin.
Le sexe est symbolisé
par la femme jeune. A toutes sortes d'époques a été mis en vedette
une catégorie de jeunes femmes soi-disant « faciles ».
Au XIXème siècle, il y
eu les Manons, les Lorettes, les blanchisseuses, les bachelettes. Et
plus tard les midinettes, les shampouineuses, les étudiantes, les
infirmières, les sténodactylos, les hôtesses de l'air et les
vedettes de cinéma.
D'une façon générale,
toutes les catégories de femmes indépendantes financièrement ou
travaillant loin de leurs famille et surtout père, mère, mari ou
fiancé possible ont été assimilées à des espèces de putes
gratuites.
Deux nationalités ont eu
droit à ce traitement : les Suédoises et les Françaises.
D'une façon générale,
les femmes ressemblant aux beautés des magazines ont subi le même
sort, ont connu la même réputation.
J'en ai connu une, copie
conforme de « la belle Américaine » genre vedette de
cinéma. Sa beauté ne lui avait pas porté chance. Traitée comme un
bifteck de luxe par quantité d'hommes, elle était triste. Et on la
comprend.
Dans la population, un
mythe sexuel contemporain est celui de la riche bourgeoise libertine.
Prête à tout. Et de préférence prête à tout ce que vous avez
envie.
Chez les bourgeois existe
le mythe de l'artiste. Homme ou femme libre, et qui conséquemment
doit baiser à tire-larigot.
Il existe certainement
des spécimens répondant à ces définitions. Mais l'existence de
groupes entiers de telles personnes relève du mythe.
Quand les riches
bourgeois s'ennuient, ils vont chercher à bousculer les tabous.
Riches, on peut déjà
s'offrir autant de prostituées de luxe qu'on veut. De « matériel »
pour s'exprimer comme un fameux cavaleur.
Ensuite, il existe des
lieux réputés pour « pratiquer ». Par exemple, les
bordels de Macao ou la plage libertine d'Agde. Ou encore, un peu
partout, les « clubs libertins », appelés aussi boites à
touses, c'est-à-dire boites à partouzes. Et fréquentées par les
tousards, c'est-à-dire les partouzeurs.
Le problème de toutes
ces pratiques dite « libérées » est qu'elles
dissimulent mal l'ennui profond de ceux et celles qui les
choisissent.
Pour pallier à cet
ennui, on fait alors appel à des drogues, déviances, au sadisme, à
la participation de mineurs. Pour les « défaillances »
sexuelles, il y a des stimulants chimiques : Viagra ou Cialis. Ces
produits améliorent la performance mécanique : le membre masculin
s'érige et durcit. Mais n'améliorent en aucune façon la
sensibilité. Ce qui fait que le résultat est médiocre et
inintéressant. Mais, fierté masculine et sens commercial des
marques aidant, personne n'en parle. Cette précision concernant ces
produits réputés est absente de tous les écrits à leur sujet.
La frigidité masculine
est un sujet tabou. Car la reconnaître, c'est admettre que l'homme
perd un des rares domaines où il prétendait encore, avec la jouissance
automatique, être « supérieur » aux femmes. Certains
hommes, pire encore, ont mal au moment de l'éjaculation. Il arrive
aussi qu'ils doivent frotter leur membre jusqu'à l'irriter. Et aussi
sont physiquement épuisés après l'acte.
Mais le mythe est là :
l'homme jouit automatiquement. Quelle farce ! Un vrai secret de
Polichinelle ! Un ami âgé me disait : « si les hommes
jouissaient à chaque fois qu'ils font l'amour, ça se saurait. »
Il reconnaissait bien la valeur jouissive le plus souvent réduite de
l'éjaculation. Mais de ça, personne ne parle ou presque. Il faut
maintenir intact le verbiage sur la jouissance automatique et
maximale des étalons humains.
Certes, existe parfois,
de ci, de là, des éjaculations qui font grimper l'intéressé aux
rideaux. Mais elles sont rares, très rares. Et plus on les cherche
moins on les trouve. Il s'agit d'un shoot endorphinien massif qui
donne le sentiment de sortir de soi et peut aller jusqu'à la perte
de connaissance momentanée. Je n'ai jamais trouvé de textes
décrivant ce phénomène.
Ce rêve de jouissance
extrême est poursuivi avec l'aide de drogues. On cherche aussi
« l'amour », c'est-à-dire l'harmonie avec un tiers.
Chose qu'on ne peut acheter, pas plus qu'on ne peut acheter une
amitié sincère. Alors, les riches, noyés dans leurs thunes,
continuent leur double quête impossible. Et s'ennuient. C'est la
misère des riches. L'excès d'argent ne fait pas le bonheur.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 28 novembre 2013
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