Il y a une vingtaine
d'années, une amie, mère de deux jeunes enfants, évoquait devant
moi des affaires récentes d'agressions pédophiles. « Tu te
rends compte, me disait-elle, les agresseurs sont justement des
personnes auxquelles on devrait faire confiance : prêtres,
instituteurs, moniteurs ou directeurs de colonies de vacances.
Comment faire alors pour protéger ses enfants ? »
Des millions de parents
se trouvent confrontés à ce problème sans solution visible : ils
voudraient naturellement mettre leurs enfants totalement à l'abri de
toutes éventualités d'agressions sexuelles. Mais comment faire ?
Trop mettre en garde les enfants peut les traumatiser. Les
surprotéger n'est pas non plus la solution. Et, de toutes façons,
tôt ou tard, on ne sera pas toujours là pour protéger ses enfants.
Ils s'éloigneront forcément un jour pour vivre leur vie
indépendamment.
La réponse à cette
crainte, je pense l'avoir trouvé. Une personne qui est beaucoup
câlinée sera infiniment moins affectée par une agression sexuelle
subie qu'une autre en manque de câlins. En fait, pour protéger
quelqu'un des conséquences néfastes d'agressions sexuelles
possible, il faut la combler de contacts physiques sains et
chaleureux. J'en parlais tout à l'heure avec mon médecin. Il était
d'accord. Cette idée ne serait donc pas originale. Mais elle est
insuffisamment propagée me semble-t-il. C'est pourquoi il est utile
de la répéter ici.
Au nombre des
conséquences dramatiques de l'amour contrarié on trouve les
« chagrins d'amours ». Il est largement temps de cesser
de traiter ceux-ci comme des histoires individuelles relevant du
romantisme ou de la poésie. Il s'agit d'un fléau social de
très grande envergure. Il amène de terribles souffrances pour
des dizaines de millions de personnes chaque année dans le monde et
des dizaines de milliers de suicides ou tentatives de suicides. C'est
donc un phénomène très grave et à prendre au sérieux.
Dans les services
psychiatriques des hôpitaux aboutissent une petite partie des
victimes. Traitées par la parole et avec des médicaments qui sont
en fait des drogues, on s'efforce de les guérir. Le mal n'est pas
traité en tant que « chagrins d'amour », mais qualifiés
par ses conséquences : dépressions, tentatives de suicides.
Qu'est-ce objectivement
qu'un « chagrin d'amour » ? C'est l'effet d'une violence
morale ressentie suite à une contrariété. Il s'agit donc d'un acte
de violence invisible. Un coup porté moralement et pas avec une arme
ou un poing. Là aussi, la réponse paraît être le renforcement des
victimes potentielles par les câlins. Car il s'agit d'une forme
particulière de violence sexuelle, différente du viol, mais
violence sexuelle quand même.
Pour prévenir les
conséquences de violences sexuelles, physiques ou sentimentales, il faut dès
l'enfance et tout au cours de leur vie généreusement câliner les
personnes menacées.
Il est facile de
remarquer que nous ne sommes pas à égalité face aux menaces de
souffrances amoureuses. Celui ou celle qui a manqué de câlins
réagit infiniment plus à un désappointement amoureux que celui ou
celle qui a été comblé de câlins. Je me souviens avoir rencontré
une personne tellement bien immunisée contre la souffrance amoureuse
causée par une déception, qu'elle n'arrivait pas à comprendre de
quoi il s'agissait exactement. Et, un jour, dans le bus à Paris,
j'ai surpris une conversation entre deux jeunes femmes. L'une d'elle,
surprise et désappointée rapportait qu'ayant repoussé un soupirant,
celui-ci avait acquiescé et pas insisté, ni paru chagrin : « tu
te rends compte ? disait-elle, et après ? Rien ! » Je pense
pour ma part que ce jeune homme avait beaucoup de chances comparé à
ceux qui souffrent de chagrins d'amour durant des années !
Basile, philosophe
naïf, Paris le 22 novembre 2013
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