A la naissance nous
sommes des petits singes. Cet état est plus ou moins bien respecté
dans notre société « civilisée », c'est-à-dire
dénaturée par des centaines de milliers, des millions d'années de
pratiques industrielles, sociales, linguistiques, religieuses et
culturelles diverses.
Initialement, le petit
singe connaissait une intimité physique et morale intense avec les
grands singes. Léchages pour la toilette, caresses, sommeils
partagés et promiscuité épidermique...
Chez le singe dénaturé,
« acculturé », cet état de choses est vite remis en
question. Certes, on entend des mères dirent aujourd'hui qu'elles
« mangent » leur bébé. Une jeune femme me racontait que
très petits, elle, son frère et sa sœur avaient le visage léché
par leur père.
Cependant, très vite
intervient le sevrage tactile. Les caresses sont drastiquement
rationnées. Le léchage ou même simplement tirer la langue est
interdit. Le petit singe s'adapte plus ou moins bien à cette misère
tactile. Car il la voit omniprésente dans la société qui
l'entoure. Elle fait partie de la vie des adultes. Cette dernière
impression est d'autant plus ressentie et convaincante que les câlins
classés « sexuels » entre adultes se déroulent en
cachette et hors de sa vue. Et on n'en parle pas.
Durant un certain nombre
d'années, le petit singe va vivre une vie vidée des câlins. Cet
état de choses d'origine culturelle a été vu jadis comme d'origine
« naturelle ». Il a été baptisé par Freud « période
de latence ». Le terme plus juste est « période de
post-sevrage ». De plus, Freud s'est embrouillé en déclarant
les câlins « sexuels », alors que c'est exactement
l'inverse. Il y a les câlins qui intègrent les gestes « sexuels ».
Et non les câlins intégrés au « sexe » : Freud
interprétait la satisfaction de la tétée chez les bébés comme
une satisfaction d'ordre sexuel. On ne voit pas ce que le sexe va
faire là-dedans ! C'est une satisfaction tactile, affective,
nourrissante, buccale... mais pourquoi « sexuelle » ?
Sinon pour justifier la vieille culpabilité générale et religieuse
du « plaisir ».
Quand l'âge de la
capacité procréative arrive, ou avant, les jeunes singes humains
rêvent confusément de rompre leur jeûne câlinique. Ou tentent de
le faire, avec plus ou moins de succès. Certains ne le feront jamais
ou seulement plus tard. Mais le manque câlinique, lui, reste sous
jacent depuis le début du sevrage. Ce qui explique l'étrange
phénomène du « choc nostalgique ».
Quelquefois, un événement
accentue subitement et de manière cuisante la souffrance engendrée
par l'absence de câlins. Et aussi la nostalgie des câlins qui n'ont
pas été reçus, donnés, échangés durant de nombreuses années.
Une tristesse terrible et confuse peut en résulter et pousser même
au suicide.
L'événement qui
provoque ce « choc nostalgique » peut être violent ou en
apparence pas. Mais il ébranle la personne concernée. Ça peut être
un viol, une agression sexuelle. Mais ça peut aussi bien être un
chagrin d'amour, un divorce, un renoncement à enfanter, le deuil
d'un proche, etc.
Quand le réveil de la
faim câlinique survient ainsi, le désespoir n'est pas le fruit de
l'événement réveillant, mais des années de souffrances par
manque. On n'a pas été caressé. On l'a accepté et apparemment
bien vécu. Et quelque part on le vivait en fait très mal. Et le
réaliser est pire.
L'association des câlins
avec un événement désagréable qui en a réveillé la faim peut
amener à renoncer aux câlins. Vécus comme quelque chose de
désagréable car associés au désagrément réveilleur. Ainsi, une
femme violée refuse par la suite les câlins. C'est un phénomène
que j'ai vu. La femme en question refusait tout ce qui lui rappelait
la tendresse. Car elle l'avait refoulé et associé au souvenir de
son agression dont elle ne parlait jamais. Et qui avait « remué »
sa faim de câlins.
Basile, philosophe
naïf, Paris les 13 et 14 août 2013
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