L'art, pour bien se
porter, a besoin que des artistes se regroupent. Il existe des
exemples célèbres, par exemple : les poètes de la Pléiade, les
peintres impressionnistes, les Surréalistes. D'autres sont moins
connus, comme les Hydropathes, les Incohérents.
Né dans une famille de
bohèmes, mère sculpteur, père artiste peintre, j'ai été assez
tôt confronté au problème du fréquent isolement des artistes. Par
exemple, sorti d'une école d'art, on se retrouve seul. J'ai tenté,
dans la limite de mes modestes moyens, de remédier à cette
situation.
Il y a 36 ans cette
année, j'ai fondé le CRABE, c'est-à-dire le Comité pour la
Réunion des Artistes Balbutiants Etc. Etc indiquait les non
balbutiants. Ouvert à tous et pour la libre pratique de l'art.
Démarré en fanfare,
cette aventure au bout de quelques mois se termina en eau de boudin.
Il faut dire que pour aller à l'échec, j'ai été aidé
efficacement.
La plus nombreuse réunion
se tint chez moi. Il y eu 19 participants, soit un pour chaque mètre
carré de mon habitation. Certains durent rester debout, au moins
trois ou quatre qui assistèrent à notre meeting, pendant que les
autres avaient réussi à trouver où s'asseoir en se serrant au
maximum.
En fait, je ne l'ai
réalisé que plus tard, venaient à moi des artistes demandeurs. Ils
voulaient et attendaient l'un une salle pour exposer, l'autre de quoi
monter un spectacle, le troisième une revue où publier qui serait
ensuite diffusée par d'autres, etc. Comme ils s'aperçurent très
vite que les moyens n'existaient pas, ils se volatilisèrent comme
une volée de moineaux.
A la dernière réunion
du CRABE vinrent trois personnes, moi, ma mère et une amie, Martine.
J'entendis alors comme commentaire de notre réunion amaigrie : « ça,
je m'y attendais ».
Entre-temps s'étaient
déroulés quelques péripéties mouvementées. Trois participants
politisés voulurent rejouer les grands conflits du genre de ceux qui
ravagèrent le groupe surréaliste. A une réunion tenue dans le
local prêté par l'École des Parents, je m'entendis reprocher
d'avoir « une conception onaniste de l'Art »,
c'est-à-dire de trouver justifié de peindre, dessiner ou écrire
pour son plaisir et pas nécessairement au service d'une cause
quelconque, si valeureuse soit-elle ou non.
Je n'eus pas la présence
d'esprit de rétorquer du tac au tac : « Pourquoi ? Tu es
contre la masturbation ? » Ce qui m'aurait permis de
ridiculiser mon interlocuteur agressif.
Enfin, quelques mois
après la déconfiture du CRABE, un vacancier rencontré au camping
en Bourgogne me fit ouvrir les yeux sur un point que je n'avais pas
réalisé : déposée selon la loi de 1901, mon « association »
m'était en fait montée à la tête. Il avait connut une histoire
similaire.
On est trois. On dépose
des statuts. Et on se croit alors être devenu autre chose de bien
plus important que ce qu'on est réellement. La loi de 1901 devient
ici un piège.
L'épisode crabique me
dégoûta pour longtemps de l'idée de rassembler des gens et les
associer.
Quinze ans plus tard, en
1992, l'envie de faire quelque chose pour briser l'isolement des
artistes, amateurs ou non, me fit prendre une nouvelle initiative
d'un genre différent.
Cette fois il s'agissait d'une pétition.
Cette fois il s'agissait d'une pétition.
J'avais été invité à
participer à l'occupation du théâtre de l'Odéon par les
intermittents du spectacle. Celle-ci, à but revendicatif, devint
bientôt une sorte de club, en surimpression du mouvement lui-même.
Souffrant d'isolement, des comédiens ou techniciens arrivaient tous
les jours pour simplement retrouver là la convivialité qui leur
manquait. Ce phénomène irrita les syndicats. De mon côté, je
traduisis cette aspiration à mieux être ensemble par une pétition
que je lançais quelques mois après : pour la création de lieux de
rencontres et paroles libres pour les artistes et leurs amis.
Je recueillis sans
difficultés plusieurs centaines de signatures. Mais comment, partant
de là, concrétiser le projet ?
J'étais, comme beaucoup
de Français, obnubilé par l'institution municipale. Je pris donc
rendez-vous à la mairie du quatorzième arrondissement de Paris. Où
je vis, où je suis né. Après m'avoir écouté, Nicole Catala,
adjointe au maire chargée de la culture, me répondit : « Les
artistes ne veulent pas se réunir. » Ce qui revenait à
m'annoncer qu'elle ne ferait rien pour m'aider à réussir.
Sur le coup,
j'interprétais sa réaction comme un échappatoire pour ne rien
faire. A présent, je nuancerais mon propos. Au vu de ce que personne
n'a cherché à m'aider parmi les artistes signataires de ma
pétition. Je pense que la phrase de Nicole Catala serait plus
objective en la modifiant un peu : « Les artistes ne veulent
pas du tout faire d'efforts pour se réunir. »
Si, demain, on annonce
aux artistes qu'un mirifique Palais des Artistes vient d'ouvrir à
Paris et qu'ils sont invités à venir y bouffer et boire
gratuitement et y rencontrer le ministre de la Culture en personne et
le maire de Paris, on les verra accourir. Pas tous, certains
refuseront de venir. Mais un très grand nombre seront prêts à se
remplir la panse, s'humecter la gorge et serrer la main des hautes
personnalités. Et si on demande aux artistes d'organiser des lieux
pour eux, il n'y a plus personne.
Fin septembre 1993, je
pris l'initiative de la renaissance du Carnaval de Paris. Pour y
arriver, je m'intéressais à savoir comment le Carnaval fonctionne
là où il est vivant. Très vite, je réalisais que pour exister il
devait être organisé.
Mon sentiment était
aussi que l'organisation pouvait devenir un piège. J'avais connu le
CRABE.
Je sorti le premier
document en faveur du Carnaval de Paris. C'était un tract appelant à
s'organiser carnavalesquement. Il était rédigé volontairement dans
un style qui ne se voulait pas trop sérieux, institutionnel. Je
distribuais ce tract tout en évitant de me relancer dans l'aventure
associative.
Puis, un jeune Breton
rencontré à Paris en 1994 me convainquit que le premier pas pour la
renaissance du Carnaval de Paris était de faire défiler à nouveau
le cortège du Bœuf Gras : « Les Parisiens verront ça. Ils se
demanderont ce que c'est. Et tout le reste reviendra avec. »
Je m'attelais donc à cette
tache, délaissant pour le moment celle de créer quelque chose
d'organisé pour le Carnaval. Je dus cependant créer une association
pour demander l'autorisation de défiler.
Le cortège de
renaissance du Bœuf Gras était prêt à sortir en février 1995. Il
fut empêché par l'interdiction de défiler. Confiant d'y arriver
quand-même assez vite, je sorti un second tract proposant la
naissance de groupes de carnaval : les Chaussettes, ou Schtrümpfe
(en allemand).
Ce tract n'eut pas de suites pratiques. Car j'eus ailleurs à m'occuper. Les obstacles firent que je mis en tout cinq ans pour réussir à faire reparaître le célèbre défilé parisien du Bœuf Gras.
Ce tract n'eut pas de suites pratiques. Car j'eus ailleurs à m'occuper. Les obstacles firent que je mis en tout cinq ans pour réussir à faire reparaître le célèbre défilé parisien du Bœuf Gras.
En octobre 1997, alors
que mes efforts acharnés n'avaient pas abouti, je rencontrais
l'homme qui allait débloquer la situation et obtenir l'autorisation
nécessaire pour défiler.
Alain Riou disposait d'une
association qu'il avait créé le 3 avril 1967, jour de mon
anniversaire. Il la présidait. Elle s'appelait « Droit à la
Culture ».
Vu ce qu'il faisait pour le Carnaval de Paris, je me sentis obligé d'y adhérer. Et au mois de décembre 1997, participais à l'assemblée générale de l'association.
Vu ce qu'il faisait pour le Carnaval de Paris, je me sentis obligé d'y adhérer. Et au mois de décembre 1997, participais à l'assemblée générale de l'association.
Dans le cadre de celle-ci
je proposais la création d'un groupe chantant. Quelques personnes
présentes se rallièrent à moi. Et me voilà parti pour organiser
quelque chose.
Mon manque d'expérience et
le manque de motivations des autres eurent bientôt raison de mon
initiative chansonnière.
Il fallait se réunir à
la porte des Lilas et j'habitais le quatorzième arrondissement, à
une heure de là. Se réunir devint vite pour moi une corvée.
Surtout que, fatale erreur, j'avais fixé la périodicité de nos
réunions à une par semaine. C'est beaucoup trop.
A mon grand soulagement,
le groupe chantant se défit tout seul et disparu. Mais restait la
question d'organiser quelque chose pour faire vivre le Carnaval de
Paris.
Durant des années,
j'avais remis à plus tard mes efforts d'organisation carnavalesque
de base, donnant la priorité à la renaissance du cortège du Bœuf
Gras. Là, c'était sûr : il allait reparaître fin septembre 1998.
J'étais donc, pour la première fois depuis cinq ans, délivré de
la tache de faire renaître la fête. Elle arrivait. L'heure était
enfin venue d'organiser, mais quoi ?
J'avais rédigé un
délire d'une page manuscrite et photocopiée appelant à la création
de la très festive « Internationale Bovine ». « C'est
ce qu'il nous faut » me dit mon ami Bernard. Et nous voilà,
lui, moi et deux autres réunis un soir de juillet 1998. But : créer
quelque chose pour le Carnaval.
J'avais amené avec moi
deux listes : celle des sociétés philanthropiques et carnavalesques
de Dunkerque et sa région en 1997 et celle des sociétés bachiques
et chantantes de la banlieue de Paris en 1830. J'ignorais alors
absolument que ces dernières étaient des goguettes et ne
connaissais rien de précis à leur propos.
Je lis les deux listes à la
petite assistance. Puis on se trouva d'évidence appelé à créer
quelque chose. Pour le créer, il fallait un nom. On se mit à le
chercher.
Je rappelais alors que les sociétés festives de jeunes nobles qui organisaient le Carnaval de Venise au quinzième siècle portaient le nom de « Compagnie della Calza », ce qui signifie : « Compagnies de la Chaussette ». Ce nom m'avait déjà inspiré pour baptiser des groupes projetés en 1995.
Je rappelais alors que les sociétés festives de jeunes nobles qui organisaient le Carnaval de Venise au quinzième siècle portaient le nom de « Compagnie della Calza », ce qui signifie : « Compagnies de la Chaussette ». Ce nom m'avait déjà inspiré pour baptiser des groupes projetés en 1995.
On adopta comme nom : « Les
Chaussettes de Paris ». Pour faire plus joli et pittoresque, on
choisi de le mettre en argot, ce qui donna : « Les Fumantes de
Pantruche ».
Quand on se sépara, j'eus
le sentiment qu'il venait de se passer quelque chose.
En septembre, je revis
mes Fumantes, grossies de deux nouvelles recrues. On réalisa très
vite des costumes, aidé par mon ami Rafael, qui les avait imaginé.
Le cortège de
renaissance du Bœuf Gras s'ornait en tête de la présence de six
Fumantes costumées et deux amies venues « en civil ».
Sous la pluie battante qui n'arrêtait pas de tomber, nous avions
fière allure. Ensuite, le deuxième cortège était annoncé pour
septembre 1999, d'ici-là que faire ?
Nos costumes avaient bien
souffert de la pluie qui avait en particulier détruit nos grands
chapeaux cylindriques en carton. Il en fallait de nouveaux. Un
rendez-vous d'après carnaval eu lieu dans un café. Pas longtemps
après je proposais aux Fumantes de s'atteler à faire de nouveaux
costumes.
Je crus alors avoir
trouvé la clé de l'organisation carnavalesque : l'activité
pratique.
En effet, cela fonctionna
bien tout l'hiver 1998-1999 avec notre petit groupe. Mais ensuite,
les costumes une fois réalisés, qu'allions-nous faire ensemble
comme activités hors Carnaval ?
Une nouvelle perspective
apparut : celle de faire des repas chansong, réunions mensuelles
dans la salle du sous-sol du restaurant « Le petit bonheur »
près de la rue Mouffetard. Ça devint notre nouvelle activité de
groupe, alternée avec de vraies petites répétitions. Nous avions
pour ce faire et animer nos soirées deux adhérents musiciens et
passionnés par la chanson : Nicole et Jean-Pierre.
En fait, sans le
réaliser, nous allions droit dans le mur. Une règle essentielle
pour la réussite du groupe de Carnaval et du groupe festif en
général est de rester impérativement très petit. Au delà de
douze, c'est risqué, après dix-neuf, c'est la catastrophe assurée.
C'est ce qui arriva.
Nous atteignîmes
trente-six à nos repas chansons. Venaient du tout venant, profiter
d'une soirée repas avec animation gratuite, et bien décidés à ne
rien faire pour nous aider à réussir le Carnaval. Sous la pression
de leurs engagements, nos deux animateurs chansons étaient débordés.
Notre apparente
prospérité n'allait pas durer. A sa vue, en 2001, quelques
adhérents crurent que nous étions l'élite du Carnaval de Paris.
D'autant que nous étions la Première Compagnie Carnavalière
Parisienne. Ils se virent appelés à un destin parisien grandiose.
Le pouvoir dans le groupe fut leur motivation. Crise classique dans
des structures qui comptent plus de douze adhérents. La guerre
interne fut féroce. Ils perdirent. Puis, par la suite, les deux
animateurs chansons eurent ras-le-bol de leur pesante fonction et
partirent. « Le petit bonheur » lieu de nos agapes
changea de propriétaire, nous privant de notre lieu de réunion. Et
l'activité organisée des Fumantes de Pantruche s'affaiblit.
Le costume de la troupe
fut en partie remis en question par une adhérente, Catherine, qui
proposait la réalisation d'autres, très jolis, très différents,
et à titre onéreux, payés à elle. Je n'ai pas réalisé alors
qu'un groupe de Carnaval, si libre soit-il, se doit d'avoir au moins
un costume caractéristique commun. Dans un cortège costumé il se
signale toujours par une identité bien visible.
Le groupe vit son
activité se réduire. Ce n'est pas faute d'avoir consacré du temps
pour qu'il fonctionne ! J'ai passé sans compter d'innombrables
heures à m'en occuper. Aujourd'hui il n'apparaît plus de manière
visible et costumée au Carnaval.
Le recul des Pantruches a
laissé la question posée : comment et quoi faire pour le Carnaval
et entre deux Carnavals ? Le cortège du Bœuf Gras a lieu tous les
ans avec un succès certain. Mais le Carnaval préparé, chanté et
commenté toute l'année, vivant dans nos cœurs, où est-il à Paris
?
J'ai enfin découvert, il
y a deux ans la base de la fête : la goguette. Et mis deux années
pour approfondir la connaissance de celle-ci. Dans quelques mois, la
question posée en 1993 : « comment préparer, organiser et
vivre le Carnaval à Paris ? » trouvera sa réponse vivante.
D'autres textes de ce
blog explique ce que c'est que la goguette. Ils sont le fruit de
vingt années de recherches pour la fête et la joie partagées.
Demain, avec costumes d'Île-de-France, bigophones, chansons, rubans
et insignes, nous écrirons une nouvelle, grande et belle page de la
vie parisienne.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 21 janvier 2013
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