Les singes humains ont
besoin de se sentir partie d'un groupe. Pour lier les éléments du
groupe ensemble, divers moyens peuvent servir de lien et liant. Cela
peut être le sexe.
Ainsi, je l'ai lu un
jour, en Bourgogne, des garçons peuvent faire un barlu. Ce
terme d'origine régional désigne le fait de baiser en groupe une
jeune fille consentante. Cette pratique existe en d'autres lieux. Un
jeune homme rencontré en vacances en Ardèche, m'a raconté il y a
une trentaine d'années s'y être adonné : « et à la fin,
elle (la jeune fille), avait une bite dans le cul, une dans la bouche
et une dans chaque main ! » Sa femme, qui entendait, s'est
exclamée, écœurée : « celle-là, j'étais sûre que tu la
raconterais ! »
Un célèbre acteur
français racontant sa jeunesse expliquait une pratique similaire en
1957 à Châteauroux : pour faire partie d'une bande (je cite de
mémoire), une fille devait accepter de passer à la casserole.
D'abord le chef de la bande, puis tous les autres et enfin lui, le
petit dernier, qui avait neuf ans.
Ce récit fait au début
des années 1990 a valut à cet acteur une furieuse campagne
puritaine menée contre lui aux États-Unis qui l'a privé d'être
oscarisé.
Quand cette pratique
sexuelle collective est organisée au détriment d'une jeune fille
non consentante, elle prend le sinistre nom de tournante.
Mais une telle manière
de faire se passe aussi de partenaire consentante ou non.
J'ai assisté à la
projection d'un excellent film luxembourgeois où on voit, à un
moment, une douzaine de garçons, de dos, alignés dans la campagne,
pantalon ou culotte courte baissés, tous en train de se masturber.
Cette scène paraissant inspirée par les mœurs réels des jeunes
gens de là-bas. Il s'agit de plaisir collectif et solitaire.
Ces pratiques de
sexualité collective soude un groupe sans doute plus par le fait de
nier ensemble un interdit que par le plaisir éprouvé.
Cette violation de
l'interdit, un policier de la brigade des mineurs m'en a parlé, il y
a un quart de siècle. A son avis, le plus grand plaisir pour un
drogué n'était pas l'effet de la drogue, mais le moment de préparer
sa dose.
Une jeune femme m'a un
jour raconté sa jeunesse. Habitant la province, rangée, mère de
famille, travaillant à s'occuper de personnes âgées, ayant comme
meilleure amie une femme gendarme, cette jeune femme avait vécu en
banlieue parisienne plus de dix ans auparavant. A l'époque,
loubarde, elle faisait partie d'une bande.
Cette bande avait fait de
la violence en groupe un jeu ritualisé. Ainsi, elle provoquait la
police en lui lançant des projectiles, puis elle profitait de sa
connaissance de la cité pour fuir. Un jour, la jeune femme, pas
assez rapide, s'était fait rattraper. Les policiers l'avaient laissé
en paix. Haute comme trois pommes, elle ne risquait pas d'avoir
caillassé la maréchaussée. Mais, m'expliquait-elle, si ses amis le
faisaient, en aucun cas ne leur serait venu à l'idée de mettre la
vie des policiers en danger.
Ses amis réussirent une fois à bloquer des CRS dans leur car. Loin de leur faire du mal, ils avaient alors secoué le car et, à l'intérieur, les CRS rigolaient !
Ses amis réussirent une fois à bloquer des CRS dans leur car. Loin de leur faire du mal, ils avaient alors secoué le car et, à l'intérieur, les CRS rigolaient !
Quand les gars de la
bande incendiait une voiture, ce n'était pas au hasard. Il existait
toujours une raison précise. Ainsi, c'était, par exemple, le
véhicule de quelqu'un qui les harcelait et ne cessait de se plaindre
d'eux.
La violence ainsi limitée
faisait aussi lien et liant : agir ensemble et violer ensemble des
interdits. En fait, elle structurait le groupe en groupe et
permettait de rompre l'isolement individuel.
On rencontre cette
manière de faire dans les luttes politiques. Dans les années 1970
dans les universités parisiennes s'affrontaient des groupes opposés
dits d'extrême droite et extrême gauche. En fait, il était acquit
implicitement de part et d'autre que si on se frappait, on ne le
faisait pas trop fort. A la faculté de droit de la rue d'Assas il y
avait même un important trotskiste, prénommé Olivier, qui était
d'origine noble, et, de ce fait, jouissait de l'estime de ses
adversaires !
Dans les années 1980,
j'ai entendu dans une cafétéria universitaire une militante
syndicale de l'enseignement racontant ses luttes à l'intérieur du
syndicat. En analysant son propos, c'était ahurissant. Son but
n'était en fait pas de parvenir à gagner, mais de combattre les
autres. La lutte devenait le but et le résultat devenait secondaire.
Une belle bagarre, c'était ce qu'il y avait de mieux et plus
important. Ce genre de mentalité ne donne pas particulièrement
envie de se syndiquer.
Quand, en 2002,
Jean-Marie Le Pen est resté présent au second tour de l'élection
présidentielle, une invincible coalition hétéroclite lui a fait
barrage. On y trouvait gauche, extrême-gauche, droite et jusque, y
compris les journaux Le Parisien et Le Figaro, et
l'Église de France qui appelaient à voter contre lui. Il était
évident dans ce cas qu'il ne pouvait que perdre. Pourtant eu lieu en
plus une grande manifestation où un tas de manifestants manquèrent
de périr étouffés tant il y avait de monde au départ. Durant
cette période, je me suis trouvé dans le métro près d'un groupe
de gens de retour d'une manifestation anti-Le Pen. J'entendais leur
chef dresser un programme d'actions. Il était visible dans ses
propos que, plus important que battre Le Pen, ce qui était certain
d'arriver, pour lui, l'essentiel était de se battre contre Le
Pen. La lutte devenait le but et plus son résultat. Ce glissement
inconscient s'explique par le fait que plus le résultat de l'action,
c'était l'action qui structurait le groupe, dont j'entendais le chef
parlait. Et ce groupe, c'était un peu sa vie à lui.
Cette recherche du groupe
se retrouve un peu partout, sans que ceux qui la mènent s'en rendent
forcément compte. Le besoin d'être en groupe domine jusqu'au
paradoxe. Ainsi, j'ai entendu un jour une conférence donnée par un
vieux militant politique qui avait milité dans sa jeunesse et dans
des conditions terribles et dramatiques pour l'indépendance de
l'Algérie. A la fin du débat qui avait suivi la conférence,
l'orateur s'était exclamé avec nostalgie : « ah, c'était une
belle période de camaraderie, de lutte politique ! » Une amie
qui m'accompagnait avait été choquée par ces regrets et m'avait
fait remarquer : « il aurait du dire qu'heureusement cette
période terrible était terminée. A l'écouter, on dirait qu'il la
regrette ! » Effectivement, je pense qu'il la regrettait. Et
que ce qu'il regrettait là était le temps où il faisait partie
d'un groupe.
Une dame peu soupçonnable
de sympathie pour le pouvoir politique en place en France sous
l'Occupation allemande disait un jour devant moi : « il y a une
seule chose que je regrette de cette période. C'est la solidarité
qui régnait entre voisins. On dépannait son voisin par exemple en
lui trouvant un sac de charbon... tout ça, trois semaines après la
Libération c'était fini. » Mes parents qui avaient connu la
même période et l'écoutaient approuvèrent ses propos. On peut
aussi s'unir, se regrouper pour une autre raison : chercher à
comprendre. Durant les événements de mai et juin 1968, au plus fort
de la grève générale, plusieurs groupes de centaines de personnes,
souvent pas très jeunes, se rassemblaient tous les jours sur les
trottoirs de la place Denfert-Rochereau à Paris et discutaient de la
situation. Je l'ai vu. La grève terminée le phénomène a cessé.
Mais ici durant plusieurs semaines le besoin d'être en groupe avait
rompu l'isolement individuel habituel à Paris.
Basile,
philosophe naïf, Paris le 7 janvier 2013
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