On voit de nos jours de
nombreuses personnes n'ayant pas accès à une vie sociale
enrichissante, s'isoler de plus en plus en se réfugiant dans le
visionnement assidu de la télévision, le surf sur Internet, les
jeux vidéos. L'illusion remplace la réalité, créant une sorte de
véritable « alcool électronique » dont on peut devenir
dépendant. Certains passent le plus clair de leur temps libre chez
eux devant les écrans.
Quel enseignement peut-on
en tirer ? Ce besoin inassouvi de convivialité peut inciter à la
résignation. On se dit alors : « Ah ! C'était le bon temps.
Maintenant tout est fini. »
On peut aussi convenir
que si le besoin d'être ensemble vit toujours en nous, on peut
trouver des réponses, des solutions. Celles-ci existent. Car la
convivialité était jadis très organisée et l'est encore dans
quelques endroits.
Fête et
vie de quartier
Un temps fort de la
convivialité, c'est la fête. En France, elle était jadis très
vivante partout.
Ainsi, par exemple, un
voyageur américain, Franklin James Didier, écrit en 1817 à propos
du Carnaval de Paris : « La splendeur de celui de Paris m'a
étonné. J'aime cette mascarade qui change tous les objets,
renouvelle tout, et donne à une grande ville l'air d'un théâtre
grotesque. »
Aujourd'hui, on ne trouve
plus une fête d'une telle ampleur en France, sauf à Dunkerque et
dans les villes alentours.
Là-bas, au moment du
Carnaval, tout le monde descend costumé dans la rue. Ceux qui ne
participent pas à la liesse générale paraissent bizarres, isolés.
Quelle explication
peut-on donner à cette remarquable survivance festive locale ?
« Bien sûr, ce
sont des gens du Nord. Ils sont très chaleureux. C'est pour ça
qu'ils ont conservé leurs traditions. »
C'est ce que diront
certains. Mais si on fait juste 66 kilomètres pour aller de
Dunkerque à Lille, on ne retrouve pas là un grand Carnaval.
Pourtant il s'agit toujours de gens du Nord.
Á
Lille existait aussi jadis un grand Carnaval. C'est dans son cadre
qu'a débuté la carrière de chansonnier d'Alexandre Desrousseaux,
qui est l'auteur de la plus célèbre chanson lilloise, devenue
l'hymne officieux de la ville : « Le P'tit Quinquin »
(« L'canchon Dormoire »
en ch'ti !).
Il n'y a plus de grand
Carnaval à Lille et toujours un grand Carnaval à Dunkerque. On a
conservé à Dunkerque et dans ses alentours une chose qui assure la
pérennité du Carnaval, que les Lillois avaient aussi et ont perdue,
tout comme les Parisiens : ce sont les goguettes.
L'amusement était
organisé toute l'année dans toute la France et au delà par des
milliers de petites structures chantantes, indépendantes et
conviviales.
Il suffirait de les faire renaître là où elles ont disparu pour faire renaître la vie de quartier.
Ces goguettes doivent être de taille réduite. Pour conserver leur unité et les autogérer facilement, elles ne doivent jamais dépasser dix-neuf membres. Leur taille idéale est de douze.
Il suffirait de les faire renaître là où elles ont disparu pour faire renaître la vie de quartier.
Ces goguettes doivent être de taille réduite. Pour conserver leur unité et les autogérer facilement, elles ne doivent jamais dépasser dix-neuf membres. Leur taille idéale est de douze.
Au delà, on ne chasse
personne, mais ceux qui veulent rejoindre une goguette qui fonctionne
déjà sont invités à en créer une nouvelle.
Petit, on sait ce qu'on
fait, ce qu'on veut, où on va. On évite les faiblesses et maladies
des structures associatives plus grandes : règlement écrit,
division, besoin d'argent et locaux, combat de chefs, etc.
La petitesse assure la
durée. Des goguettes – comme celle des Joyeux, à
Belleville, village situé à la lisière de Paris avant d'en devenir
un quartier, – ont très bien fonctionné durant des dizaines
d'années.
L'exemple
dunkerquois
De 2010 à 2012, j'ai
réalisé la première étude sérieuse qui ait été faite sur les
goguettes.
Á
Dunkerque et aux alentours, elles existent depuis au moins la
fin du XVIIIe siècle. Elles sont formées de
marins-pêcheurs habitués à travailler dans des conditions
particulières.
Ces hommes affrontent la
mer sur des petits bateaux à voiles : les lougres. Les équipages
sont formés de douze à vingt-cinq hommes.
Ils partent chaque année
« à Islande ». C'est à dire pour de longues, pénibles
et dangereuses campagnes de pêche à la morue au large de l'Islande.
Une année, le Carnaval
tombe juste avant leur départ. Ils en profitent pour faire la fête.
Le cortège du Carnaval
de Dunkerque – la « Bande de Dunkerque » – naît
ainsi. Il porte toujours le nom de « Bande des pêcheurs ».
Autrement dit en patois dunkerquois : « Visschersbende ».
Les marins-pêcheurs de
Dunkerque et alentours, et aujourd'hui leurs descendants, ont calqué
l'amplitude organisationnelle de leurs goguettes sur celle des
équipages. Les goguettes, dont celles baptisées « sociétés
philanthropiques et carnavalesques », ont ici pratiquement
toutes une dimension familiale. Leurs effectifs sont de douze
membres, ou proches de ce nombre, soit le plus petit équipage de
lougre.
C'est ce qui a assuré la
conservation du Carnaval à Dunkerque et dans les villes alentours.
Partout ailleurs les
goguettes ont dépassé largement ce format. Certaines comptaient
jusqu'à cinq cents membres, comme le Bon Bock à Paris en
1881. Après avoir prospéré durant des dizaines d'années, la joie
organisée des goguettes a péri, victime des maladies associatives.
Reprendre la tradition
goguettière en suivant l'exemple dunkerquois, et en l'améliorant,
est aujourd'hui faisable et possible partout.
C'est ce à quoi
j'invite à discuter pour retrouver partout le plaisir et la
convivialité de la vie de quartier.
Et bien sûr,
également, réussir les fêtes et le Carnaval !
Basile,
Paris, le 22 avril 2012
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