L'homme est un singe qui
« fait l'homme ». Quand on veut le faire marcher, la
violence et la menace ne suffisent pas. Il faut également lui
bourrer la tête pour qu'il croit que c'est inévitable et dans son
intérêt de faire et accepter ce qui arrange ceux qui vivent sur son
dos.
A chaque époque de
chaque pays correspond une mythologie justificatrice du système
économique, social, moral, culturel, religieux qui ne profite jamais
qu'à une minorité au détriment de la grande masse. Quand des
changements importants interviennent, cette mythologie laisse plus ou
moins progressivement la place à une nouvelle mythologie. Ces
mythologies ont pour bases des apparences de certitudes démontrées,
des sentiments plutôt que des raisonnements, des mensonges, menaces,
interdits, fables et contre-vérités assenés avec tant d'assurance
qu'on hésite à aller à leur encontre. Ainsi, par exemple, le
monument aux morts du quatorzième arrondissement de Paris, érigé
il y a peu de dizaines d'années, s'orne d'une inscription : « C'est
du dernier souffle de nos héros expirants qu'est fait le souffle
éternel de la Patrie ». Très jolie phrase, dont on accuserait
le détracteur éventuel de ne pas aimer « la Patrie ».
Cependant, l'irréfutable vérité est que « la Patrie »
dont il est question ici, c'est-à-dire la France, n'a pas toujours
existé et donc son caractère « éternel » peut aussi
être mis en doute. C'est là un aspect de la mythologie dominante :
faire de « la France » une sorte de réalité intangible
et sans âge. Quand on prend un dictionnaire, à l'article « France »
on trouvera décrite la France en des temps où son nom-même
n'existait pas. Qu'à cela ne tienne ! Elle existait quand-même au
temps des dinosaures ? Avant que la Terre ne se solidifie, quand elle
n'était jadis qu'un nuage de gaz ? Le caractère absurde de la
mythologie n'empêche pas quantité de personnes d'y croire.
L'établissement d'une
mythologie peut coûter très cher. Ainsi, la France fut proclamée
jadis « fille aînée de l'Église ». Il s'agissait bien
sûr de l'église catholique. Or, à diverses époques surgirent chez
nous d'importants groupes qui ne suivaient pas le catholicisme. Que
de misères ne leur fit-on ? On persécuta et massacra Cathares,
Vaudois et Protestants. On pourchassa toutes les « déviations ». Y compris la Fête des fous qui se déroulait à
Notre-Dame-de-Paris.
La Monarchie française
avait partie liée avec l'Église. Le roi de France était « Roi
par la grâce de Dieu ». Il était sacré dans la cathédrale
de Reims. Il était le « père du peuple ». L'historien
Maurice Dommanget raconte en 1971 que lors de la Grande Jacquerie de
1358 les paysans soulevés brulaient les demeures nobiliaires, et,
par égard pour la personne du roi de France, épargnaient les
châteaux royaux. Le roi était sensé même par attouchements guérir
des écrouelles. La figure du roi était jadis centrale et sacrée.
Certains royalistes ont parlé des « cent rois qui ont fait la
France ».
A partir de 1516 le roi
de France obtint même du pape le pouvoir de nommer des abbés
commendataires qui géraient des monastères.
La mythologie monarchique
et religieuse du céder la place à une nouvelle mythologie quand ses
bénéficiaires, roi, noblesse d'épée, noblesse de robe, durent
laisser la place aux nouveaux profiteurs du système, commerçants,
aventuriers, industriels et bureaucrates, lors de la période qu'on
convient de nommer « la Révolution française ».
A cette époque remonte
l'invention de l'antagonisme : gauche – droite. Les partisans de la
gauche étant sensés défendre des « valeurs de gauche »,
et les partisans de la droite des « valeurs de droite ».
En fait, plus d'une fois, les partisans de la gauche et de la droite
se retrouvent parfaitement d'accord sur des sujets essentiels. Ainsi,
en 1914, pour entamer joyeusement la grande boucherie de 1914-1918,
en 1945, pour la répression du soulèvement de Sétif et Guelma en
Algérie, qui fit 45 000 victimes, ou bien en 1956 pour voter les
pleins pouvoirs au président du Conseil socialiste Guy Mollet pour
la guerre d'Algérie. Les mêmes gauche et droite sont très
majoritairement d'accord aujourd'hui pour que nous subissions les
effets délétères de l'Europe, du moment que les décisions
d'asservissement au pouvoir européen non élu sont votées par leurs
députés.
Le culte de la
démocratie, c'est-à-dire du respect religieux du pouvoir des élus,
fait partie de la mythologie française contemporaine. Le dépôt de
bulletins dans l'urne le jour du vote revêt un caractère magique,
car il est sensé donner la bonne solution. Or, rien n'empêche une
majorité de gens de se tromper, être manipulée, face à une
minorité qui a raison. Si nous donnons le droit de vote aux
Égyptiens, ils donnent la majorité à des religieux partisans de la
charia. On peut ne pas être d'accord avec la charia. Dans ces
conditions, la logique est que l'on doit aussi s'opposer à la
démocratie. En 1933, les nazis obtinrent aux élections en Allemagne
la majorité relative. Le président Paul von Hindenburg en
conséquence et dans le plus parfait respect de la démocratie appela
au pouvoir en qualité de chancelier un certain monstre nommé Adolf
Hitler... Être contre la prise du pouvoir par les nazis implique
également ici d'être contre le respect de la démocratie.
En France, contrairement
aux mensonges de certains, l'instauration du suffrage universel
remonte à 1944. Auparavant, seule une partie de la population adulte
et toujours moins de la moitié de celle-ci pouvait voter à partir
du moment où des élections commencèrent à être organisées en
France. En 1944, plus de la moitié de la population adulte obtint
enfin le droit de vote. Il s'agissait des femmes.
La période dite de la
Révolution française ne donna jamais le pouvoir au peuple. Le
pouvoir, par définition, appartient à une minorité qui décide
pour tous. Nous le rappelle la loi Le Chapelier, promulguée en
France le 14 juin 1791, qui proscrit les organisations ouvrières,
notamment les corporations des métiers, mais également les
rassemblements paysans et ouvriers ainsi que le compagnonnage. Cette
loi suit de très près le décret d'Allarde des 2 et 17 mars 1791,
tant dans ses objectifs que par leur proximité historique. Elle
interdit de fait les grèves et la constitution des syndicats au
cours du siècle suivant, mais aussi certaines formes d'entreprises
non lucratives comme les mutuelles. Elle ne vise ni les clubs
patronaux, ni les trusts et ententes monopolistiques qui ne seront
jamais inquiétés. Cette législation servira durant des décennies
à réprimer grèves et syndicats.
Le mythe du pouvoir du
peuple, par le peuple et pour le peuple s'incarne à merveille dans
l'icône de la République. Ce régime soi-disant conditionne la
société moderne. Cette remarquable farce ne résiste pas une
seconde à un esprit critique un tant soi peu éveillé. La monarchie
existe bel et bien aux Pays-Bas, en Belgique, Grande-Bretagne, Suède,
Norvège, Danemark, Espagne. Le Liechtenstein est un Grand Duché,
Andorre et Monaco des principautés. Le Japon possède un empereur
qui se réclame de la descendance de la déesse Amaterasu. Tous ces
pays ne sont pas particulièrement des cités du cauchemar. La
soi-disant fondamentalité de la République est une tarte à la
crème bicentenaire. Le culte de la République, incarnée par
l'image d'une jeune dame affublée d'un bonnet phrygien assez
ridicule, est manigancé avec constance depuis bien longtemps. Benito
Mussolini décida que toutes les villes petites et grandes d'Italie
devait posséder une « rue de Rome ». Dans un esprit très
proche, des législateurs anonymes décidèrent de pourvoir toutes
les villes de France, petites ou grandes, d'au moins une rue, place,
ou avenue « de la République ». Ce mot-fétiche est
tellement bien enfoncé dans la tête des Français, qu'ils croient
qu'il est synonyme de bien vivre et en liberté. Un tas de partis
politiques des plus différents s'en réclame. Ce culte absurde de
« la République » partagé par des personnes d'opinions
diverses, explique une large partie de l'incohérence politique que
nous connaissons en France aujourd'hui. Si on s'attache à un mot en
dix lettres pour en faire une idole, on perd de vue la réalité.
C'est ce qui arrive à nombre de leaders politiques qui pédalent
dans la semoule idéologique alors qu'ils sont remplis de bonne
volonté. Et ce ne sont pas les royalistes qui les mettront sur le bon
chemin, prisonniers qu'ils sont de la nécessité de dénigrer la
République qui en fait imite sur bien des points la Royauté dont
ils rêvent.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 30 décembre 2012
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