Avoir un domicile fixe,
en être même si possible propriétaire, est un des fondements de
nos sociétés sédentaires. Et en politique, le territoire, les
frontières diverses, marquent également les limites d'entités
siégeant dans des palais emblématiques de leur existence-même. Que
serait le Président de la République française sans son Palais de
l'Élysée ? Et que seraient nos ministres ou nos maires sans les
imposants bâtiments de leurs ministères et les plus ou moins
imposants bâtiments sièges de leurs mairies ?
Le Palais de l'Élysée
est doté, en permanence et y compris en temps de paix, d'une
protection impressionnante, allant jusqu'à l'interdiction au public
du trottoir le long de son mur d'enceinte, chose que je n'ai vu nulle
part ailleurs dans Paris.
Le Palais de l'Élysée
est doté, en permanence et y compris en temps de paix, d'un arsenal
de guerre imposant. Un gendarme me disait, il y a une trentaine
d'années : « il y a là de quoi faire sauter tout le
quartier ! ».
Cet attachement
identitaire et viscéral du sédentaire au territoire, au bâti, tout
cela, de par son organisation-même, le nomade le nie. Il se déplace
en roulotte, vit sous une tente. La petite roulotte en bois clame par
sa seule existence-même au palais doté d'une armée, à la villa
pourvue de gardes et de caméras de surveillance : « vous
n'êtes rien, vous me faites rigoler ! Une simple baraque sur roues,
pas de terrain fixe, ça suffit bien pour vivre, et pas d'attaches,
un jour ici, un jour ailleurs, vive la liberté ! »
Le sédentaire voue au
nomade une hostilité traditionnelle totale. Quand, pour le plaisir
momentané des vacances, le sédentaire adopte la roulotte, il lui
faut inventer un mot nouveau : la « caravane ». Il fait
du « caravaning » et n'adopte pas des mœurs tziganes
durant ses vacances !
En Roumanie, une réforme
de l'orthographe a supprimé jadis le « a » accent
circonflexe pour désigner un son particulier. Seul le « i »
accent circonflexe est resté pour le représenter. Excepté pour un
seul mot et ses dérivés, le nom du pays et de ses habitants :
România, român... pourquoi ? Pour rappeler graphiquement
Roma, la ville de Rome, les Romains... et surtout éviter que
ces noms rappellent rom !
L'hostilité anti-nomades
va jusqu'à inventer des mots nouveaux ou conserver des orthographes
anciennes.
Les nomades, eux, ont
souvent le dessous. Sauf en des temps reculés, où on vit par
exemple Timur Lang chef nomade conquérant la Chine. Il abattait les
clôtures, ne voulant voir dans les terres que des prairies sans
limites pour les chevaux !
Sinon, depuis des
siècles, les nomades ont perdu face aux sédentaires. On oublie, par
exemple, mais il faut le rappeler, que les guerres indiennes aux
États-Unis, étaient aussi en partie des conflits
nomades-sédentaires. Certaines nations indiennes, pas toutes,
étaient nomades.
Pour régler la question
des nomades, les sédentaires ont avancé deux solutions : la
première, c'est « l'assimilation ». Soi-disant, le
nomadisme serait un état inférieur à la sédentarité. Améliorer
le sort des nomades consisterait à les obliger à se sédentariser.
Pour y arriver, on use y
compris de moyens hypocrites. La scolarité obligatoire de leurs
enfants devant se faire dans des écoles fixes (pourquoi ?), les
nomades sont tenus de se fixer tout le temps de l'année scolaire.
Résultat, certains nomades ne nomadisent que durant les congés
scolaires. Mais d'autres ne mettent simplement pas ou peu leurs
enfants à l'école.
Au côté de la
sédentarisation forcée, on remarque une « solution »
criminelle : elle consiste à assassiner les nomades. Cette politique
a été appliqué à grande échelle en Europe par les nazis. Elle
semble avoir conforté, parmi les sédentaires, quantité de gens qui
ont en quelque sorte « oublié » ce massacre. Au point
qu'un rescapé a baptisé le livre qu'il a écrit sur le sujet : « Le
génocide oublié ».
Des meurtres de tziganes
continuent à se perpétrer de nos jours, commis par certains partis
politiques extrémistes, dans les pays d'Europe où la communauté
nomade est importante.
D'une façon générale,
la nomadophobie est très forte dans tous les pays d'Europe. Quand
mon amie et moi avons été victimes de pickpockets dans un tramway
de Turin, il y a quelques années, le policier qui a reçu ensuite
notre déposition, a écrit d'office que les voleurs étaient de type
zingari, c'est-à-dire de
type gitans. Nous n'avons jamais dit, ni remarqué cela, s'agissant
du groupe dont faisaient partie nos voleurs. Mais, pour ce policier,
un voleur était forcément gitan.
La
nomadophobie s'est traduite en France, depuis quelques années, par
les expulsions de campements roms. Elles sont organisées autant sous
le gouvernement Sarkozy, dit « de droite », que sous le
gouvernement Hollande, dit « de gauche ». Les policiers détruisent
des bidonvilles, qui vont ensuite se reconstituer ailleurs, car leurs
habitants nomades n'ont pas d'autre solution pour s'abriter.
Encouragés par l'exemple officiel, il arrive à présent que des
particuliers sédentaires organisent eux-mêmes les opérations de
destructions.
Il
est dommage de voir se perpétuer un conflit. Si on souhaite y mettre
un terme, il faut au départ reconnaître le fait nomade, accepter le
nomadisme et l'aménager pour le rendre vivable dans de bonnes
conditions. Ce qui signifie aussi que la scolarité puisse se
dérouler en nomadisant. Que les nomades aient du travail et pourquoi
pas ? demain, une université nomade, tout ce qui assure une vie
décente et agréable.
Mais,
en des temps où quantité de sédentaires se retrouvent jetés à la
rue et sans domicile, peut-on espérer un tel changement de politique
? On peut en douter. Plus tard, si la politique change, alors là,
oui, on pourra chercher à mettre un terme au conflit
nomades-sédentaires. Pour l'harmonie et l'enrichissement mutuels de
ces deux communautés en guerre depuis si longtemps.
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