J'étais il y a peu dans
un train et observais deux voyageurs. L'un était une jeune fille,
l'autre, qui l'accompagnait, un homme nettement plus âgé. La jeune
fille avait eu son attention attirée par moi et à plusieurs
reprises a jeté un coup d'œil dans ma direction. Ces deux personnes
étaient à une certaine distance. Quand je devais descendre du
train, elles se sont rapprochées, car elles descendaient également.
J'ai supposé que l'homme était un parent de la jeune fille. Le bref
instant où nous avons été proches, j'ai parlé à l'homme, qui
paraissait sympathique et lui ai donné un tract du prochain Carnaval
de Paris. Il m'a très aimablement remercié. La jeune fille n'a rien
dit. Et nous nous sommes séparés. Rien de négatif en soi. Deux
inconnus, un tract du Carnaval de Paris remis pour information, il
n'y avait visiblement rien à ajouter de plus dans l'anonymat de la
très grande cité de Paris. Pourtant j'étais triste et me suis
demandé pourquoi. J'ai compris la raison ; au fond, le tract du
Carnaval n'était qu'un prétexte de rapprochement. Et le sentiment
qui me dérangeait à présent était que sans me l'être formulé
ainsi, j'avais eu envie de câlins avec la jeune fille. Rêve
totalement imaginaire dans le contexte présent. Ayant réalisé ce
cheminement de ma pensée, je me suis senti bien à nouveau. Ce bref
épisode insignifiant ou mal interprétable par beaucoup m'a fait
réfléchir. Au fond de nous la tendresse vit toujours. Notre monde a
beau être divisé, atomisé, étrangéifié, rendant les relations
dures, les « inconnus » inaccessibles, le désir, le
besoin de contacts existent toujours. Quelquefois on les voit
s'exprimer chez des personnes ayant un peu bu. Généralement cette
tendresse est verrouillée, cadenassée au fond de nous. Mais elle
existe toujours. Les humains n'ont pas la capacité de décréter
qu'ils sont autre chose que ce qu'ils sont. Je me suis posé la
question : quels symptômes provoquent ce rejet sociétal de la
tendresse ? J'en énoncerais ici quatre :
Les humains connaissent
un sentiment permanent de crainte diffuse. Cette crainte demande à
trouver sa justification intellectuelle. Ce qui fait que les humain,s
sont prompts à adhérer à une peur qu'ils voient énoncée.
Bizarrement ils vont par exemple souscrire à un discours paniquard
distillé par les médias. Ils chercheront et trouveront d'horribles
ennemis qui souvent ne les concernent pas du tout directement. « La
fin du monde » est très à la mode dans les médias. La
crainte diffuse régnante explique la séduction que rencontre très
fréquemment la masse délirante de propos annonçant des
catastrophes. L'être humain largement privé de câlins se sent mal
et construit ainsi sa peur. Les humains connaissent également un
sentiment de soif aveugle. Elle cherche la source de sa satisfaction.
D'où des comportements des plus bizarres, absurdes. Un humain va
collectionner avec fanatisme des timbres-poste, par exemple. Car la
complétude de sa collection lui apparaîtra comme un but énorme en
soi. Un autre humain accumulera de l'argent, du pouvoir, des
géraniums en pots, n'importe quoi. Mais n'importe quoi qui lui
semblera un moment combler sa soif inextinguible. Qui est en fait une
soif de câlins dont il n'a pas une claire conscience. Les humains
ont aussi le sentiment qu'il manque une très grande chose.
N'arrivant pas à l'identifier, ils l'assimileront à un idéal
quelconque, qu'ils nommeront : « liberté », « amour »,
« harmonie », « Europe », etc.
Enfin, les humains auront
une sexualité complètement dérangée. Beaucoup pratiqueront la
drague, qui consiste à réduire les partenaires possible et soi-même
à de la viande à baiser. Niant ainsi la richesse, l'originalité et
la complexité des individus. La baise consistera à consommer cette
viande imaginaire qui nie la réalité des humains. Si les humains,
surtout masculins, pratiquent intensivement la masturbation, qui est
une activité anodine, celle-ci s'accompagne chez les adultes de
frustrations et fantasmes perturbant et troublant leur contact avec
la réalité. La visualisation de la pornographie qui met en scène
ces fantasmes, matérialise ces frustrations, aggrave ce trouble.
Renoncer à cette sexualité perturbée n'est pas évident, d'autant
plus que ce renoncement est souvent prôné par des malades obsédés
par le rejet global de toute sexualité. L'important reste encore et
toujours pour chacun de chercher à reconnaître et vivre son
authenticité.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 23 juin 2016
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