La nuit du 24 au 25
novembre 2015, j'ai fait un rêve en forme de message. Il était
énoncé ainsi avec beaucoup de précision :
« Si on considère
que tous les humains qui se contentent de suivre et ne prennent pas
d'initiatives – y compris ceux qui travaillent 18 heures par jour
et se lèvent la nuit pour aller bosser, – sont de grosses
feignasses.
« Si on ne prend en
compte comme humains que les humains qui prennent des initiatives. »
« Combien y
aurait-il d'humains à compter sur Terre ? 10 000.
« La plupart des
enfants s'emmerdent à l'école. »
« L'ennui de ces
petits bouchons est une tragédie. »
« Si on leur
apprenait à l'école avec, par exemple, des petites saynètes, des
petites pièces de théâtre jouées par les enfants, à prendre des
initiatives, ce serait déjà bien. »
Juste après mon réveil
je réfléchissais au message délivré par ce rêve et considérais
deux exemples illustratifs de cette absence d'initiatives chez les
humains. L'un, c'est la renaissance des goguettes, l'autre celle du
Carnaval de Paris. Je m'efforce depuis 2011 de faire renaître les
goguettes, petites sociétés festives et chantantes comptant moins
de vingt membres. Et, depuis 1993, j'œuvre à la renaissance du
Carnaval de Paris.
J'ai retrouvé la base
traditionnelle de la fête en France : la goguette. Ce sont des
petits groupes festifs et chantants se réunissant ponctuellement
pour passer un bon moment ensemble, boire, manger et chanter des
chansons. Leur renaissance ne demande ni argent, ni efforts
importants, ni local, ni logistique, ni dépôt de statuts. J'en
parle depuis quatre ans sans guère de résultats. Pourquoi ? Parce
qu'en créer une nécessite de prendre une initiative. Je l'ai fait
avec une goguette que j'ai créé : la Goguette des Machins
Chouettes. Pourquoi la naissance d'autres goguettes se fait-elle
attendre à ce point ? Pourquoi mon message a du mal à passer ?
Parce que, pour le suivre, il faut renoncer à suivre le troupeau
humain qui se lamente à propos du manque de communication et de
festivité, et agir. Prendre une initiative. Mais, même sans risques
et pour le plaisir, la seule initiative, de par sa nature-même
impressionne et fait peur. C'est tellement plus rassurant de suivre
le troupeau !
Ceci explique en général
pourquoi une activité ou une mode interrompue un certain nombre
d'années a du mal à redémarrer quand des efforts sont faits en ce
sens. Ce qui n'est plus à la mode, même de qualité, a tendance à
être rejeté, délaissé. Quand j'étais petit, dans les années
1950, les chevaux de trait, ou porter des sabots, c'était ringard.
Aujourd'hui, ça fait chic et écologique. Le Parisien en raffole. Il
suffit dans une animation de rue de ramener quelques animaux de
ferme, une vieille batteuse à vapeur et il y a foule !
Le second exemple
frappant mentionné, illustrant le comportement de troupeau des gens – ici les Parisiens, – et leur peur de prendre des initiatives, c'est
la renaissance du Carnaval de Paris. En 1993, je prends l'initiative
de la renaissance de cette vieille et grande fête oubliée. A
l'époque, c'est de l'archéologie. Personne n'en parle. Les mots
« Carnaval de Paris » n'apparaissent nulle part. Le
dernier cortège organisé et traditionnel carnavalesque parisien est
sorti à petite échelle le dimanche 20 avril 1952 dans le 19ème
arrondissement. Je commence mes recherches et démarches. Réalisant
que les politiques, apparemment très favorables, à lire leurs
courriers en réponse aux miens, ne vont rien faire de concret, je
décide d'organiser un cortège de renaissance.
Je rassemble quelques supporters pour créer une association. Nous sommes le 23 juin 1994.
Ce soir-là, à un moment
donné je déclare : « bon, alors, nous décidons de sortir le défilé
de renaissance le dimanche 6 mars 1995. » Et alors là,
réaction unanime de mes deux interlocuteurs et silence de la
troisième personne participant avec moi à la réunion.
« Ah non, avant de
prendre une décision, il faut voir comment les politiques
considèrent la question ! »
Tel est le propos qu'on
me tient. Je réalise alors que mes amis ont peur de décider de défiler. Je n'insiste pas. On décide de créer une association. Et,
quelques temps plus tard, suite à une lettre de Dominique Blatin,
Commissaire général du Concours général agricole, je le
rencontre. Quand je lui évoque l'organisation d'un cortège du Bœuf
Gras à Paris, il me réponds : « je ne peux pas vous empêcher
de prendre l'initiative d'organiser un cortège du Bœuf Gras à
Paris. » Réponse qui, n'étant pas approbative, le met à
l'abri d'une demande éventuelle de soutien financier venant de ma
part.
Je quitte l'entretien et
après rédige un tract où j'annonce que, suite à cette rencontre, j'ai
décidé de sortir le cortège du Bœuf Gras le 6 mars 1995. Quand je
fais lire mon tract, que j'ai déjà commencé à diffuser, à un des
deux amis présents à la réunion de juin, il s'étrangle presque.
« Ah bon ? Tu as écrit ça ? » Mais il n'ajoute rien. Et
voilà comment j'ai pris l'initiative du retour du Carnaval de Paris.
Si j'avais attendu l'avis des politiques, je n'aurais rien fait.
Parce que les politiques – en tous les cas la plupart d'entre eux, – détestent la fête vivante et le Carnaval en particulier. Qui est
chez nous la plus belle des fêtes. Et pourquoi cette hostilité ?
Parce que de telles fêtes sont remplies de nombreuses petites
initiatives. Et les politiques ont horreur que les électeurs
prennent des initiatives. Il faut qu'ils se contentent de former le
troupeau compact et votant qui les porte au pouvoir.
Chez les politiques
existe aussi le comportement de troupeau. On défend une orientation
politique. Mais elle ne doit jamais être trop audacieuse. Ressembler
à une vraie initiative. Je connais un très célèbre exemple à ce
propos.
En juin 1940 la France
est vaincue militairement par l'Allemagne. Paris est occupé. Le
gouvernement français s'installe à Vichy. De son côté, un général
cherche à poursuivre la lutte. De Gaulle n'est que simple général
de brigade à deux étoiles. Il est très loin d'être le plus haut
gradé de l'armée française. Il va alors solliciter un certain
nombre de hauts militaires français pour leur suggérer d'appeler à
poursuivre le combat. Ils vont tous répondre qu'ils se soumettent
aux ordres de Vichy. Vichy qui reconnaît la défaite et préconise
une politique de collaboration avec le vainqueur.
En désespoir de cause, De Gaulle se résout à lancer lui-même l'appel à résister. C'est son célèbre « Appel du 18 juin 1940 ». Il passe à l'époque inaperçu d'un très grand nombre de personnes concernées.
Quelques temps plus tard, recevant un de ses premiers partisans à Londres, De Gaulle dira : « vous voyez, mon cher Cassin : la France libre, c'est six personnes et deux machines à écrire. »
En désespoir de cause, De Gaulle se résout à lancer lui-même l'appel à résister. C'est son célèbre « Appel du 18 juin 1940 ». Il passe à l'époque inaperçu d'un très grand nombre de personnes concernées.
Quelques temps plus tard, recevant un de ses premiers partisans à Londres, De Gaulle dira : « vous voyez, mon cher Cassin : la France libre, c'est six personnes et deux machines à écrire. »
Pour dénigrer l'action
du général, les partisans de Vichy vont baptiser De Gaulle « le
général micro ». Sous-entendu qu'en dehors de son micro à
Radio Londres, De Gaulle ne représente absolument rien.
Et c'est grâce à son
initiative le 18 juin 1940 contre le troupeau défaitiste que De
Gaulle pourra affirmer la présence de la France dans la guerre. Les
États-Unis, considérant que le gouvernement français avait
collaboré avec l'Allemagne firent préparer de la monnaie
d'occupation qui devait entrer en usage en France en tant que pays
occupé par les alliés. De Gaulle va interdire son usage.
Et, le 8 mai 1945, à la signature de la capitulation allemande à Berlin, la France est représentée par le général De Lattre de Tassigny. Au dernier moment, on s'aperçut, avant l'arrivée des représentants allemands vaincus, qu'il manquait un drapeau au côté de ceux des autres puissances vainqueurs. Il n'y avait pas de drapeau tricolore français. Vite, un officier français prit du matériel de couture et confectionna un drapeau français. Il était plus petit que les autres drapeaux alliés, mais, accroché comme on pouvait, il était devant les autres.
A leur arrivée les représentants militaires allemands étaient furieux d'apercevoir les Français : « ah, ils sont là aussi, ceux-là ! » Ça n'a pas été leur seul motif d'énervement ce jour-là.
Tout ceci, et aussi la
célèbre descente triomphale de l'avenue des Champs-Élysées le 26
août 1944 par De Gaulle est arrivé grâce à un acte : son
initiative de lancer l'appel du 18 juin 1940, refuser la défaite,
continuer le combat. Et où était les autres politiques français ?
Un grand nombre suivait le troupeau qui acceptait la défaite. Encore
un exemple de ce qu'est l'initiative et l'absence
d'initiatives.
Idem le jeune et beau Alexis Tsipras en Grèce. Quand en 2015 il fallait prendre l'initiative de rompre avec la troïka, il s'est couché. Pourquoi ? Parce qu'il était incapable de prendre l'initiative de se battre. Initiative qu'ont su prendre d'autres hommes politiques ailleurs, en Bolivie ou en Équateur.
Pour résister à
l'Allemagne nazie en 1940-1945 on risquait le pire. Pour résister
aujourd'hui aux directives « européennes » calamiteuses
et aux diktats du MEDEF on ne risque rien. Mais nos dirigeants
politiques ne prennent aucune initiatives en ce sens. Ils suivent le
troupeau dont ils font partie. Et qui nous mène au désastre
économique et social.
Idem le jeune et beau Alexis Tsipras en Grèce. Quand en 2015 il fallait prendre l'initiative de rompre avec la troïka, il s'est couché. Pourquoi ? Parce qu'il était incapable de prendre l'initiative de se battre. Initiative qu'ont su prendre d'autres hommes politiques ailleurs, en Bolivie ou en Équateur.
Quand j'ai passé des
années à chercher à faire renaître le Carnaval de Paris, œuvre
où on ne risque rien, j'ai pu apprécier à quel point on trouve des
gens qui ont peur de prendre des initiatives. Et pas seulement lors
de la réunion du 23 juin 1994. Durant des années, parmi ceux
disposant de leviers importants pour débloquer la situation, il n'y
a eu personne qui ait décidé de m'aider.
Le cortège, prêt à défiler en février 1995 a été interdit. Il fallait un soutien élevé pour arriver à faire lever l'interdiction. Personne ne s'est hasardé à le faire. Et ça a duré des années !
Le cortège, prêt à défiler en février 1995 a été interdit. Il fallait un soutien élevé pour arriver à faire lever l'interdiction. Personne ne s'est hasardé à le faire. Et ça a duré des années !
Jusqu'à ce qu'un
politique atypique : Alain Riou, s'est engagé pour la renaissance du
Carnaval de Paris, fin 1997.
A la différence de la
plupart des politiques, Alain Riou était capable de prendre et
prenait des initiatives. C'est ce qui le faisait apprécier ou
détester selon les personnes auxquelles il avait affaire.
Notamment il fut en
conflit au sein de son propre parti, le parti socialiste. Les
élections municipales de 2001 approchaient. Et, élu municipal de ce
parti, il réalisa qu'il allait être présenté en position non
éligible. Alors, pour rester élu et pouvoir faire quelque chose, il
prit la très difficile initiative de quitter son parti et rejoindre
les Verts. Alain m'a raconté qu'ensuite, entre les deux tours des
élections municipales parisiennes de 2001, le maire socialiste du
20ème arrondissement vint voir les Verts pour leur dire de placer
Alain en position non éligible sur la liste commune
Verts-socialistes. Les Verts lui répondirent qu'ils étaient libres
d'agir autrement !
Quand Alain fut réélu
en 2001 en qualité de représentant des Verts, il me raconta très
amusé que certains lui avaient dit : « le Carnaval de Paris,
c'était un bon truc pour te faire réélire ! A présent tu vas le
laisser tomber, bien sûr ! »
Alain considérait que la
plus belle chose qu'il avait réussi c'était la renaissance du
Carnaval de Paris. Il est mort le 6 décembre 2004. Le Carnaval
continue. Il n'a plus un politique en tant que responsable officiel,
mais un artiste peintre, poète et philosophe.
Le comportement de
troupeau et l'absence d'initiatives chez les humains sont
particulièrement éclatant dans d'autres domaines que la politique
ou le Carnaval. Dans le domaine dit « de l'amour » c'est
vraiment un phénomène courant.
Quand j'ai eu 26 ans, un
gars de mon entourage m'a déclaré tranquillement : « tu as 26
ans, il serait temps que tu penses à te marier. » Ce qui m'a
frappé dans ce conseil, c'est qu'il ne s'inquiétait nullement de
savoir si j'aimais quelqu'un. J'avais 26 ans... et hop ! Il était
temps de me marier.
Dans un milieu que je
fréquente, je me retrouve célibataire. Et une dame d'un âge proche
se trouve être seule dans la vie. Elle ne m'intéresse d'aucune
manière. Et voilà que l'entourage se met à exercer des pressions,
notamment verbales, à la limite de la grossièreté, pour voir
s'arranger le couple ! Sans me demander ce que j'en pense ! Encore
l'instinct de troupeau qui se manifeste.
Après quelques années
de vie commune avec une amie m'arrive une rupture. Dans ces
conditions, il existe un risque : vu le manque et le vide soudain, de
tomber dans les bras de la première personne venue. Avec tous les
inconvénients qui relèvent du couple mal assorti. Conscient de ce
problème, auquel j'ai déjà été confronté, je déclare après
cette rupture : « il n'y aura rien avant au minimum six mois.
Je resterais seul, sauf événement vraiment extraordinaire. »
Les personnes auxquelles j'ai annoncé ma décision ont paru
choquées. Pour elles, si je me retrouvais seul après une vie de
couple de plusieurs années, je devais logiquement me précipiter
pour « retrouver quelqu'un ». Et bien non.
J'ai été amoureux
transi et malheureux d'une femme durant onze ans. Finalement c'est
passé. Un jour que je lui dit : « heureusement que c'est
terminé », cette femme a paru surprise et offusquée.
J'ai vu dans une sorte de
camp de vacances arriver une jeune fille au physique de mannequin.
Tout un groupe d'hommes s'affole alors et paraît avoir pour idée
fixe de coucher avec. Au point que ça m'a parut odieux, ridicule et
caricatural. Parmi ces hommes, certains étaient par ailleurs en
couple.
Tous ces comportements
sont des comportements de troupeaux. Ne pas réfléchir. Suivre les
règles et la morale effective dominante. Aucun sens critique, aucune
remise en question des idées reçues dans le domaine de « l'amour ».
Ce comportement de
troupeau se rencontre partout. J'ai connu un étudiant issu d'une
famille aisée. Un jour, lui, qui ne manque de rien, prend un travail
pénible et mal payé. Pour quelle raison ? Pour des raisons
idéologiques : « il faut, il est bien de travailler, tout le
monde travaille, ceux qui ne travaillent pas sont des parasites,
quand on travaille on est récompensé par un salaire. » Il n'a
en fait aucun besoin de travailler. Même pas pour devenir
indépendant de ses parents. Car il ne sait que faire de son salaire
et continue à vivre aux crochets de ses parents aisés. Sa paie ne
lui sert pas ou guère. Mais il a la satisfaction de « faire
comme tout le monde ». C'est une chose que j'ai vu.
Quand on accepte de
prendre des initiatives, la vie change. Il y a une quantité de
choses possibles et positives qu'on ne fait pas parce qu'elles
sortent de la pratique commune. Et des choses pacifiques qui ne
troublent pas particulièrement la vie des autres. Mais prendre des
initiatives en soit fait peur à la plupart des individus.
Entre être un individu
indépendant ou un mouton râleur, quantité de gens préfèrent
le second choix. Qui les rassure. Il existe une jolie fable de La
Fontaine : « Le loup et le chien ». Notre société est
remplie de chiens et compte très peu de loups. Je préfère être un
loup plutôt qu'un chien.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 28 novembre 2015
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