Il existe une chose par rapport à laquelle
l'incohérence est très fréquente dans l'échelle des importances
que se fabrique les individus. Il s'agit de l'acte sexuel et son
opportunité. Cela se comprend. Car s'il est bien une activité
totalement nouvelle par rapport à la petite enfance, c'est bien
celle-là. Elle frappe donc naturellement l'imagination.
A croire l'échelle des importances chez bien des
gens, il faudrait systématiquement rechercher ou éviter l'acte
sexuel. Cette activité serait tout à fait à part du reste.
Totalement originale, elle suivrait ses propres règles. Qui
fonctionneraient comme des obligations.
Ainsi, on rencontre quantité de personnes qui
s'imagine que si la possibilité existe de « faire l'amour »,
il faut ne pas la rater. Cette pseudo-obligation confine à la
caricature. On fini par s'accoupler avec des êtres qui nous
dégoûtent, ne nous intéressent pas.
L'absurdité du concept des bonnes occasions à ne
pas manquer s'apparente à l'idée que si on peut manger, on doit
manger. C'est une sorte de boulimie sexuelle.
Au début des années 1970, j'ai entendu à la
faculté Dauphine à Paris un propos illustrant bien cette manière
de penser : « si on a l'occasion de faire l'amour, il faut le
faire, ça ne peut pas faire de mal. »
Eh bien si, justement, ça peut faire beaucoup de
mal. Une amie me disait récemment, parlant d'une relation amoureuse
qui s'était achevé dans l'échec et l'amertume : « on a fait
l'amour sans savoir pourquoi on le fait ». Cette jeune femme et
son copain se sont laissés prendre par leurs échelles des
importances. Elle leur a dicté une conduite étrangère à
eux-mêmes. Quand il a été possible de « faire l'amour »,
ils ont suivi le programme sans savoir trop ce qu'ils faisaient. Et
ça a ravagé leur bonne relation amicale de départ.
Prétendre que, quand « faire l'amour »
est possible, il faut le faire, revient à obéir à son pénis ou
son vagin. Est-ce bien raisonnable ? Certains prétendront qu'on ne
peut pas faire autrement. A quoi je rétorquerais qu'on peut très
bien faire autrement. Encore faut-il savoir renoncer à céder à la
pression sexualisante ambiante. Et surtout savoir corriger notre
échelle des importances malmenée par celle-ci.
Jusqu'à l'âge de vingt-deux ans, je n'éprouvais
aucune envie de faire l'amour avec qui que ce soit et m'en portais
très bien. Puis, ma mère et le médecin de famille ont développé
une pression intense pour que je me mette en règle de ce côté-là.
Sagement, j'ai obéi. Et, une fois que l'aventure de six mois que
j'ai connu s'est terminé, j'ai intégré à mon échelle des
importances ce mot d'ordre stupide : « il faut » ou « il
ne faut pas » faire l'amour.
Ce parasitage a duré quarante années. Aujourd'hui,
que j'ai pu enfin m'en débarrasser, je me dis : « il faut
vivre, être soi-même ». Et cela peut impliquer, ou ne pas
impliquer, de « faire l'amour », chose absolument
secondaire. Et à ne pas ramener artificiellement dans une relation
sympathique où elle n'a nullement lieu obligatoirement d'être.
Quand bien-même la planète entière raisonnerait différemment. Et
la rumeur publique me hurlerait à l'oreille que mon intérêt, mon
plaisir et mon devoir est de baiser.
Ceux qui n'arrêtent pas de chercher à satisfaire
un besoin imaginaire, rencontrent presque toujours l'insatisfaction.
Finissent par chercher à l'oublier dans des compensations, des
addictions. Deviennent amers et jaloux. Et restent malheureux. Sans
arriver à comprendre pourquoi ce qui leur paraît si simple,
finalement ne marche jamais.
Basile, philosophe naïf, Paris le 20 janvier 2014
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