A lire ce que j'écris
sur le manque de câlins et bisous, j'imagine deux réactions
possible du lecteur à mon égard : « celui qui exprime de
telles idées est un doux poète débile qui rêve que tout le monde
se fasse des caresses. Et de toutes façons on n'en a pas envie. »
Ou alors : « celui qui exprime de telles idées est un obsédé
sexuel qui rêve de transformer le monde en une immense partouze
permanente. »
En fait, ce n'est ni
l'un, ni l'autre. Mais quand on soulève un très ancien et grave
problème que l'on s'obstine depuis très longtemps à éviter de
poser, il est normal d'être mal compris.
La fringale générale de
câlins est terrible. Elle suscite quantité de troubles en apparence
sans rapports entre eux.
Au tout début des années
1980, une amie, mère d'un petit garçon, me disait avec tristesse :
« Ça y est, mon fils a grandi. Il ne veut plus de câlins. »
Or, j'observais l'attitude de celui-ci à mon égard. Bien au
contraire, il témoignait d'une faim évidente de câlins. Quand
j'étais assis à côté de lui, en particulier, il posait sa tête
sur mes genoux. Il avait quatre ans. Pourquoi sa mère me disait le
contraire ? Simplement pour la raison suivante : divorcée et privée
de toutes caresses elle avait sans le réaliser, tendu à chercher à
compenser ce manque de caresses en se reportant sur son fils. Sans
pour autant l'agresser, elle avait eut une attitude
qu'instinctivement son fils avait ressenti comme déséquilibrée. Ce
n'était pas lui faire des câlins simplement, qu'elle cherchait avec
lui, mais également compenser son manque de caresses à elle en
général. Ce déséquilibre conduisait son fils à repousser ses
câlins. Elle en déduisait qu'il ne voulait plus de câlins en
général. Mais elle se trompait. Avec moi, il n'éprouvait pas de
problèmes pour en rechercher.
Par la suite, bien des
années après, bien carencé en câlins, ce petit garçon, devenu un
homme adulte, sera capturé par la première femme intéressée qu'il
rencontrera et qui saura le manipuler pour profiter de lui. Elle
n'aura aucun mal pour le transformer en petite marionnette, sachant
utiliser à fond le manque de câlins et les habitudes domestiques de
cet homme pour en faire sa chose à elle.
Au siècle dernier, le
gendre de Karl Marx s'est suicidé avec son épouse. Le motif qu'ils
ont donné par écrit pour leur geste était de vouloir éviter la
déchéance de la vieillesse. Plus près de nous, Etiemble, grand
orientaliste et sa femme, ont eu le même geste. Pour ma part, j'ai
une autre explication à donner à ces suicides. Vivant ensemble
depuis longtemps, s'accordant bien ensemble et mieux qu'avec tous
tiers extérieurs, ces deux couples appréhendaient avec terreur non
la déchéance de la vieillesse, mais la perspective que la mort de
l'un laisse l'autre seul. Pour y échapper, ils ont choisi de mourir
volontairement ensemble.
Ce qui ne signifie pas
que le motif qu'ils ont invoqué pour se donner la mort, ils ne l'ont
pas donné sincèrement. Mais le vrai motif au fond d'eux-mêmes
était tout autre. C'est celui que j'indique ici.
Se replier sur son couple
pour satisfaire son besoin de câlins conduit à des drames. Car, à
moins de périr ensemble dans un accident, les couples se défont par
la mort d'une de ses composantes avant l'autre. J'ai connu ainsi un
homme qui a vécu presque soixante ans en couple très uni. A la mort
de sa femme, il s'est écroulé moralement et ne s'est pas relevé.
La carence subite en
câlins peut également intervenir dans des relations autres que
matrimoniales. Je me souviens à ce propos d'un remarquable homme de
théâtre italien mort très jeune suite à une méningite. Peu
après, sa sœur s'est suicidée.
La carence en câlins est
aussi la source de graves troubles sexuels. On se souvient de cet
homme d'état français qui vit sa carrière politique ruinée suite
à une relation sexuelle inappropriée selon lui, un viol selon elle.
Pourquoi ce personnage remarquable a-t-il cédé à ses impulsions de
la sorte ? Parce que sa fringale de câlins, il y répondait, mal,
par des activités sexuelles frénétiques et devenues irrésistibles.
Le viol est une
manifestation non pas des désirs sexuels, mais de la fringale
câlinique à laquelle certains répondent en agressant sexuellement
d'autres personnes, adultes ou enfants.
Pourquoi les victimes de
viols ressentent-elles souvent paradoxalement de la culpabilité ?
Parce que leur agression leur rappelle la carence câlinique dont
elles souffrent aussi. La rencontre entre une agression violente et
une faim violente de câlins est une source de souffrances que les
victimes n'arrivent pas à analyser.
Quand la perspective de
satisfaire sa fringale câlinique est subitement détruite par un
« chagrin d'amour », le suicide paraît à beaucoup
l'unique issue.
Alors que des caresses
suffiraient, que de drames dans la société humaine ! Si la fringale
câlinique disparaît demain, plus de viols, de suicides pour
chagrins d'amour, de vies tristes et mélancoliques, d'alcoolisme, de
toxicomanie et autres comportements compensatoires. Tels que la
recherche frénétique du pouvoir, de l'argent, de la réussite, de
la violence, de la souffrance, de la célébrité, de la domination
des autres.
On le voit, poser la
question des câlins est loin d'être l'expression de rêveries
poétiques débiles ou d'obsessions partouzeuses. Elle est la
question dont la réponse permettra de redonner à la vie des humains
son sens réel : l'amour partagé avec son prochain.
La réponse à nos
questions de vie est en nous. A nous de savoir y répondre, pour
arriver à vivre et assurer la vie des autres. Il faut nous
révolutionner en redevenant nous-mêmes. Si nous ne nous aimons pas
nous-mêmes et n'aimons pas les autres, personne ne le fera à notre
place. Aimer, telle est notre réalité. L'amour entre les humains
est l'expression entre les humains de l'attraction entre toutes les
choses, qui régit aussi bien le fonctionnement des atomes que le
mouvement des galaxies. La caresse est une chose sensée,
indispensable, honorable et sérieuse. Son refus est à la source de
toutes les catastrophes. Son acceptation intelligente est la porte du
bonheur.
Câlinons-nous les uns
les autres !
Basile, philosophe
naïf, Paris le 8 février 2013
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