J'ai observé en moi un
phénomène. Quand je traverse une rue ou une route, si je suis
complètement persuadé que je ne risque pas d'être bousculé par
une voiture. Que la rue ou la route est parfaitement calme. Au point
que je ne regarde pas en traversant ou avant de traverser si un
véhicule arrive. Je ressens un sentiment particulier de grande paix
intérieure. Pourquoi ? Parce que habituellement devoir regarder si
une voiture peut arriver, revient à accepter l'idée que peut-être,
quelqu'un qui ne vous connait pas, va arriver aux commandes d'une
machine métallique pesant des centaines de kilos et vous écrasera.
C'est habituel et prudent de l'envisager. C'est aussi parfaitement
inhumain.
C'est dire que nous
vivons en permanence avec des peurs auxquelles nous sommes habitués.
Mais qui nous traumatisent malgré tout. Ces peurs ne sont pas les
seules. Ainsi, fermer sa porte à clef sous-entend que peut-être un
intrus sinon pénétrera chez vous, va voler, endommager, agresser,
menacer. Devoir fermer soigneusement sa porte relève aussi d'un
sentiment habituel d'insécurité.
Un soir à Paris je
sortais à une heure tardive de la station de métro Alésia et
suivait la rue du même nom. Le hasard faisait qu'une jolie fille
inconnue et seule me précédait et avait pris le même itinéraire.
Je devais tourner plus loin dans la rue Didot. Il se trouve qu'elle
tourna au même endroit juste avant moi. Comme elle s'approchait
d'une entrée d'immeuble et visiblement avait peur que je la suive,
je m'avisais de lui dire : « ne craignez rien, j'habite plus
loin, je ne vous suit pas. » Elle a paru rassurée. D'autant
plus que confirmant mon propos, j'ai poursuivi mon chemin. Cependant
qu'elle entrait dans son immeuble.
Une autre fois à Paris,
il était une heure du matin passé. Je raccompagnais deux amis
jusqu'à la rue Raymond Losserand où à cette heure tardive passent
souvent des taxis. Ils en prirent un. Tout à côté, une grande
jeune femme attendait visiblement de pouvoir héler un taxi.
Je m'approchais d'elle et lui dis : « je vois que vous attendez
un taxi. Comme il est très tard, je vous propose de rester avec vous
jusqu'à ce qu'il en arrive un. » Elle accepta. Le temps que
son taxi arrive, elle me parla de ses déboires en tant que femme qui
passe dans la rue, le métro, seule. Un jour, un homme inconnu lui a
touché subitement le mollet dans un escalier du métro et s'est
ensuite enfui en courant. Cette femme, allemande et blonde, en robe
et manteau longs, était jolie. Et habillée de manière très sobre,
pas du tout sexy. Pourtant elle se faisait très fréquemment
harceler par des imbéciles frustrés.
Nous vivons sans le
réaliser en permanence avec la peur de se faire écraser en
traversant la rue ou la route. Mais, qu'en est-il des femmes
s'agissant de la peur d'être harcelée, agressée, violée ?
Certains évaluent à 75 000 le
nombre de femmes adultes violées chaque année en France. Je pense que ce chiffre dont j'ignore l'origine ne rend pas compte de
la réalité. Elle est que des millions de femmes vivent plus ou
moins en permanence sur leurs gardes, voire la peur au ventre. Et
n'en parlent pas ou bien peu. Elles sont habituées à un risque
affreux qui les traumatise.
Si je rentre tard le
soir, que puis-je craindre au pire ? Une agression gratuite, ou bien
être dévalisé. Une femme, c'est différent, elle peut craindre
d'être violée. Et cela fait une très grande différence d'avec les
hommes, qui eux, sont beaucoup plus rarement agressés sexuellement.
Et s'il y a chaque année
des dizaines de milliers de femmes adultes violées, cela revient
également à dire qu'il y a des dizaines de milliers de violeurs. Où
sont-ils ? Comme la plupart échappent à la justice, ça signifie
que nous en côtoyons tous les jours. J'en ai rencontré deux fois.
C'est toujours indirectement que j'ai su que c'était des violeurs.
J'ai aussi rencontré un certain nombre de femmes qui m'ont dit avoir
été violées. Notre monde apparemment « civilisé » est
en fait bien barbare.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 23 janvier 2013
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