En août 1967, j'étais
en vacances en famille dans les Alpes, dans le village de La Bérarde,
sur la commune de Saint-Christophe-en-Oisans, dans le massif des
Écrins, au fond de la vallée du Vénéon. Nous logions dans
l'ancienne petite école, au rez-de-chaussée d'une maison habitée
par le maire et sa femme, un sympathique couple âgé au nom bien
connu localement : Carrel.
Le vieux Jules Carrel,
toujours actif et valide, le béret alpin vissé sur la tête,
construisait une belle maison nouvelle en face de chez lui. Son
épouse s'occupait des poules qui picoraient librement un peu
partout, de-ci, de-là, autour de notre habitation et du chantier
voisin.
Tiens ? Justement les
poules... un jour, grand remue-ménage dans la vallée, envahie de
militaires avec quelques très bruyants hélicoptères. Nous voilà
au centre de manœuvres de l'armée française. Et, je ne le remarque
pas tout d'abord, mais quelqu'un m'en parle : tout le temps où les
militaires sont là, on ne voit pas une poule des Carrel en liberté
! Elles ont très certainement été proprement « bouclées »
chez elles, dans leur poulailler, par les Carrel.
Ce fait rappelle un vieux
conseil d'antan : « quand les militaires arrivent, cachez les
femmes et les poules ! ».
Pourquoi les femmes ?
C'est une allusion à un très ancien et horrible phénomène : le
viol militaire.
Jadis, celui-ci était
codifié.
Quand on s'emparait d'une
ville, elle était décrétée mise à sac durant un certain
laps de temps : par exemple, trois jours.
Durant ces trois jours,
les militaires avaient carte blanche pour piller, brutaliser et, bien
sûr, violer à loisir les habitants.
Pour faire bonne mesure,
les victimes étaient réparties : les beaux quartiers riches étaient
dévolus aux officiers, le reste, les quartiers pauvres, aux soldats.
Ainsi en fut fait, je
l'ai lu il y a longtemps, par exemple de la ville de Calais, sous
domination anglaise, reprise par les Français en janvier 1558. Les
habitants ont du apprécier. La plupart ont ensuite trouvé refuge en
Angleterre.
Cherchez sur Internet la
reprise de Calais par les Français le 8 janvier 1558. Ce fait
d'armes magnifique et glorieux : pensez, la ville prise en 1347 par
les Anglais à l'issue d'un siège qui dura onze mois, fut reprise
par les Français en sept jours. Pas un traitre mot le plus souvent
pour évoquer le triste sort des habitants. Un bel exemple de pensée
grise pour vous inviter à ne pas réfléchir sur la guerre et
ses conséquences. Ici, les Calaisiens « libérés » des
Anglais sont maltraités et chassés de la ville par leurs
« libérateurs » français. Chut ! Silence ! On ne dit
rien. C'est seulement quand on évoque la reprise de la ville voisine
de Guines en 1558 qu'il est question, mais pas toujours, du pillage
par les Français, car celui-ci donna l'occasion aux Anglais de faire
une efficace sortie.
Mais, pourquoi
s'appesantir autant sur deux villes martyrisées parmi tant d'autres
? Du temps du roi Louis XIV les nobles français, comme les nobles
d'autres pays, faisaient la fête en hiver et repartaient à la
guerre au printemps. Ce qui revient à dire qu'après avoir dansé à
Versailles durant les mois de mauvais temps, nos nobles repartaient
au printemps pour notamment violer à tour de bras durant les beaux
jours. On comprend que la guerre ait été une activité fort
appréciée par eux !
Du 14 mai au 7 septembre
1706 eu lieu un célèbre et terrible siège de la ville de Turin par
les armées du roi de France. Elles s'y cassèrent les dents. Les
témoins rapportent que les femmes et jeunes filles de Turin prirent
une part active à la défense de la cité. Comme on les comprend,
quand on devine le sort qu'elles auraient subi en cas de prise de la
ville par les assaillants français !
Le viol militaire est un
sujet dont on n'aime pas parler. Il existe d'innombrables tableaux à
sujets militaires. Je n'en ai vu qu'une fois un où est évoqué la
maltraitance des femmes par des militaires en campagne. Il est exposé
au Musée du Risorgimento à Turin. On y voit un soldat agresser une
jeune fille... Bien sûr, le soldat est un vilain ennemi autrichien,
pas un brave soldat piémontais.
Au cinéma, dans le film
R.A.S. d'Yves Boisset, sorti en 1973, qui traite de la guerre
d'Algérie, la sexualité des militaires français en campagne est
évoquée par deux fois. Un viol et l'apparition d'un Bordel
militaire de campagne, en abrégé B.M.C.
Dans le film allemand
Allemagne mère blafarde (Deutschland,
bleiche Mutter) d'Helma
Sanders-Brahms, sorti en 1980, on voit vers 1939 distribuer
des préservatifs aux soldats en campagne.
C'est en gros tout ce que
j'ai vu à ce sujet. Bien sûr, je n'ai pas tout vu et ce relevé ne
prétend aucunement être exhaustif.
S'agissant du viol
militaire durant le dernier conflit mondial, j'ai entendu ou lu
quelques échos :
Durant la bataille
d'Angleterre, il n'était paraît-il pas prudent pour des jeunes
filles de trainer près des bases aériennes où de jeunes aviateurs
risquaient leur vie pour sauver le pays. On a dit que s'ils
agressaient des jeunes filles, les autorités ne réagissaient pas.
On n'allait pas emprisonner des héros dont on avait un besoin vital
pour la guerre. Donc, on les laissait libre d'agir.
Cette information n'est à
ma connaissance étayée par aucune source écrite, ce qui ne
signifie pas qu'elle soit fausse.
Deux semaines après le
débarquement en Normandie du 6 juin 1944, quantité d'habitants
libérés en avaient déjà marre des libérateurs. Ceux-ci étaient
notamment des soldats issus des pénitenciers des États-Unis et
envoyés libérer l'Europe. A la place des occupants disciplinés
qu'ils avaient battus, les nouveaux venus s'en prenaient facilement
aux femmes et jeunes filles du coin. Surtout que quand on est susceptible d'être
tué à chaque instant, cela décuple les instincts jouissifs et
reproducteurs... Mais, motus ! Il ne faut rien rapporter à ce sujet.
On ne « calomnie » pas ainsi les libérateurs !
Enfin, ça je l'ai lu
dans un livre sur la première journée de la paix en Europe en 1945
: des femmes libérées des camps de la mort recevaient ce jour-là
la visite d'un officier soviétique les conseillant de se barricader,
car il ne « tenait » pas ses hommes, et, la nuit
prochaine ils allaient venir les agresser. Ces femmes se sont
barricadées. La porte a tenu la nuit suivante. Elle n'a pas cédée
aux tentatives d'effraction par les soldats russes venues pour violer
comme l'avait annoncé leur officier.
On pourrait continuer les
exemples anciens ou récents, mais à quoi bon ? Un fait mérite
d'être rapporté : le 15 avril 1919, une action féminine de
masse contre le viol militaire a été tentée. Au président de
la Conférence de paix de Versailles Georges Clemenceau a été remis
une pétition signée par six millions de femmes américaines
contre le viol de guerre. Exigeant le châtiment des coupables
(seuls les militaires ennemis étaient mentionnés) et aussi
que les femmes victimes de viols de guerre ne soient pas considérées
comme coupables, mais assimilées à des blessées de guerre.
La pétition a disparu dans les oubliettes. Ce 15 avril est une date
importante dans l'Histoire.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 1er janvier 2013
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