Je n'ai pas été à
l'école. La première fois que j'ai été dans une salle de cours
j'avais 19 ans. Et c'est après l'âge de 30 ans que j'ai parcouru
pour la première fois le couloir d'un lycée en activité. Il
s'agissait du lycée Victor Duruy, dans le 7ème arrondissement de
Paris. En parcourant ce couloir, j'ai été subitement saisi par une
impression horrible : à travers une baie vitrée donnant sur le
couloir je voyais des dizaines de jeunes qui m'ont apparu morts ! Ils
ne bougeaient pas, ne disaient rien, assis à leur pupitre le regard
fixe. Puis, l'instant d'après j'ai réalisé que devant moi se
trouvait une personne qui bougeait et me tournait le dos. C'était un
professeur qui donnait son cours à cette classe silencieuse et
figée. Je n'avais jusqu'alors jamais vu des jeunes autrement que
dans la rue, criant, courant, s'agitant. Cette agitation m'était
apparue indissociable d'eux jusqu'à ce jour-là.
Durant toute mon enfance,
ignorant l'école, je n'ignorais pas pour autant les grandes affiches
apparaissant vers le début septembre sur les murs de Paris. On y
voyait des enfants joyeux accompagnés par cette inscription : « Vive
la Rentrée ! »
J'ai cru alors que la
rentrée était un moment de grande joie inconnue pour moi, qui
touchait tous les autres enfants. C'est seulement vers l'âge de
trente ans que j'ai parlé pour la première fois avec un enfant
d'environ huit ans qui m'a témoigné de sa tristesse de voir arriver
la rentrée et finir la période des vacances scolaires. J'ai compris
alors que j'avais été abusé par les publicités de marchands de
fournitures scolaires et vêtements pour enfants. Non, tous les
enfants ne sont pas heureux de rentrer à l'école ! Je connais même
deux adultes qui m'ont confié qu'elle a toujours été une torture
pour eux.
Depuis quelques semaines
je fais du soutien scolaire bénévole dans un centre d'animation de
quartier. Je rencontre ainsi des enfants qui fréquentent l'école et
viennent le soir pour l'aide aux devoirs. Ils sont surpris et
émerveillés d'apprendre que je n'ai pas été comme eux à l'école.
Avec eux, j'ai appris des
choses sur l'école, ce lieu où ils travaillent jusqu'à 7 heures
par jour.
Les enfants sont
concurrentialisés, culpabilisés, intellectualisés furieusement. On
les habitue à faire des choses qu'ils n'aiment pas. Et l'école se
dresse devant eux telle un monstre en béton armé :
On leur donne des ordres
: vous devez aller à l'école, parce que c'est obligatoire.
Vous n'avez pas votre avis à donner. L'école, c'est une chance.
C'est bien. Ça vous enchante. Vous devez être d'accord que
c'est bien, indispensable, une chance pour vous. Vous devez
travailler...
même si vous ne comprenez pas pourquoi, que ça vous paraît
absurde, sinon, c'est la honte, l'échec scolaire.
Et quand l'élève
décroche, c'est son échec, ce n'est jamais... l'échec de l'école.
Et puis à l'école,
diront certains thuriféraires de cette institution, il y a les
petits camarades... mais si on oblige les enfants à y aller, ce
n'est pas difficile de pouvoir les y retrouver. Si les enfants sont
visibles et abordables à l'école, ce n'est pas grâce à l'école.
L'école n'existerait pas, on les rencontrerait quand même ailleurs.
Que des enfants contraints de se retrouver quelque part ensemble se
parlent, jouent et se font des amis, c'est parce qu'ils sont des
enfants, pas parce qu'ils sont à l'école. L'école et ses
obligations n'ont aucun mérite là-dedans. Prétendre qu'on se fait
des amis grâce à elle, c'est de la pure démagogie pour mieux faire
avaler la pilule scolaire.
S'agissant de la
transmission du savoir je pense que réunir des classes de 35 élèves
enfants en fait des garderies-dressages. Une classe doit réunir au
maximum neuf élèves, encadrés par au minimum deux enseignants, une
femme et un homme, l'un des deux vieux, l'autre jeune.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 19 décembre 2012
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