Je me suis dit : « voilà,
dans cette ville, durant des siècles, des gens ont été très
attachés à leurs propriétés : maisons, jardins, esclaves... et à
présent, il n'y a plus rien, que du sable ! Comme c'est vaniteux le
sentiment de propriété ! »
Dans notre monde
aujourd'hui, la propriété, le fait de posséder des objets, est
toujours porté au pinacle. Il m'est arrivé une histoire qui m'a
donné à réfléchir à ce propos. Elle a commencé il y a une
dizaine d'années environ.
Une amie m'a conseillé
d'évacuer un peu mon logement. Pour y faire de la place pour vivre,
car il était très encombré. J'ai suivi son conseil. L'équivalent
de deux breaks de caisses sont ainsi partis. Il y avait un tas de
choses : une grande valise de photos, le journal intime de ma mère,
plein de livres dont de beaux catalogues d'expositions, pratiquement
toutes les archives de l'Édition de la Feuille Volante, la
robe de mon costume de Carnaval en 1998, le chapeau et la robe du
costume de Carnaval de Rafael en 1998, tous mes disques, etc.
Tout ceci est parti tout
d'abord dans un box loué en commun avec cette amie. Puis, le
trouvant trop cher, elle y a renoncé. J'ai alors prospecté pour
trouver un endroit gratuit. L'ami d'un ami avait une petite
entreprise près de Paris. Il a généreusement accepté
d'accueillir mes cartons.
Durant quelques années,
j'ai été voir de temps en temps l'hébergeur, homme fort
sympathique. Mes cartons étaient soigneusement rangés sous un
escalier.
Puis, un jour, son téléphone
n'a plus répondu. J'avais plein de soucis et ne me suis pas
inquiété. L'hébergeur était un homme sérieux et digne de
confiance. Cependant, il fallait bien un jour aller voir sur place,
étant donné que le téléphone ne répondait plus.
J'y suis finalement allé. Tout paraissait calme et le portail fermé présentait une particularité curieuse : une toile d'araignée qui témoignait de ce que le lieu n'était pas fréquenté depuis longtemps.
J'y suis finalement allé. Tout paraissait calme et le portail fermé présentait une particularité curieuse : une toile d'araignée qui témoignait de ce que le lieu n'était pas fréquenté depuis longtemps.
Renseignements pris chez
un voisin, puis par un courrier : l'hébergeur était mort. Sa
société liquidée et le local vidé. Toutes mes affaires parties à
la poubelle !
Sur le coup cela fait
mal. Mais ensuite cela m'a fait mener une réflexion :
Nous sommes tant que ça
attachés aux objets, à nos objets. Mais, eux, sont-ils si
importants que ça ?
Il y a cent-cinquante ans
vivaient des hommes attachés à leurs biens comme souvent nous aux
nôtres. Ils sont morts à présent. Où sont les objets auxquels ils
tenaient tant ? Plus facilement et simplement dit : « combien
existe-t-ils chez nous d'objets ayant pu leur appartenir et donc
vieux au minimum de cent-cinquante ans ? »
Il n'y en a guère.
J'ai, par exemple, chez
moi quelques objets très anciens dont deux très vieux bouquins.
Mais, parmi les centaines d'objets divers qui remplissent mon
logement, il ne doit y en avoir guère plus d'une dizaine qui ont au
minimum cent-cinquante ans d'âge. Ces objets sont généralement
sans grande valeur. Dans quasiment tous les autres logements existant
dans le monde ne subsistent également que peu ou pas du tout
d'objets anciens. Les innombrables, les centaines de millions
d'objets auxquels nos ancêtres au cours des millénaires étaient si
attachés par leur sentiment de propriété, ont fini depuis
longtemps aux ordures ou au feu.
Exactement comme mes
précieuses caisses d'affaires entreposées près de Paris.
Alors, à les voir ainsi
si fragiles et périssables, nos affaires auxquelles nous tenons
tant, sont-elles si précieuses que ça ? Nous les croyons
précieuses. Un brocanteur m'a dit : « à la mort des gens, une
très grande partie de leurs affaires part tout de suite à la
poubelle ».
Non, les objets ne sont
pas l'essentiel. L'essentiel est ailleurs : c'est nous, nos
sentiments, nos amours, ce que nous faisons.
Au cours de mes
recherches historiques j'ai consulté à la Bibliothèque Nationale
de France un album de la belle collection De Vinck. Il s'agit
de gravures reliées dans d'immenses volumes. Là-dedans, j'ai
notamment vu de très belles et grandes gravures parisiennes des
années 1820-1830 figurant de très grands cafés parisiens. Ces
gravures, leurs sujets, sont oubliés de la plupart des gens
aujourd'hui. Et de telles gravures, jadis courantes, sont aujourd'hui
très rares, car la plupart d'entre elles ont fini à la poubelle
depuis belle lurette.
J'y vois là un exemple
de plus pour me dire : arrêtons de nous attacher tant aux objets !
D'en faire nos idoles, un culte que nous leur vouons :
l'objectolâtrie.
N'attachons pas tant
d'importance aux objets et... vivons !!!
Vouloir posséder à tous
prix est une maladie.
J'ai connu un très
sympathique enseignant à l'École des Beaux-Arts de Paris qui
s'appelait Michel Faré. Il m'a expliqué un jour qu'il avait fait le
choix de ne conserver aucun « souvenir ». Il ne gardait
ni papier, ni photo, ni objet « souvenirs ». Ses
souvenirs, c'était dans sa tête. Je pense que s'il avait fait ce
choix, c'est parce qu'il avait compris la vanité de posséder et
accumuler des objets.
Si l'homme accordait
moins d'importance aux objets et un peu plus à son prochain et à
lui-même, la société serait bien plus belle, juste et humaine.
Le cas le plus extrême
d'attachement aux objets que je connaisse, m'a été raconté par ma
mère. Durant l'Occupation elle est allé voir une dame qui habitait
un bel appartement parisien joliment meublé. Pour la prévenir
qu'elle devait fuir et se cacher, car elle risquait l'arrestation. La
dame s'est exclamé : « je ne peux pas m'en aller, je ne peux
pas laisser mes meubles ! » Bilan, on est venu la chercher.
Puis, après, on a aussi pris ses meubles. Déportée elle n'est pas
revenue.
S'agissant de la perte de
mes affaires, je me suis dis aujourd'hui : leur perte a été la
suite du vidage de mon logement qui en a fait une habitation vivable
et plus une sorte d'entrepôt. Alors, finalement, si depuis douze ans
environ, j'ai eu une vraie habitation c'est grâce à cet événement
qui n'a donc pas eu que des implications négatives, très loin de
là. Tant pis pour ces pertes. Nos logements ne sont pas des musées.
Nous ne sommes pas au service des objets. Ce sont aux objets d'être
à notre service.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 26 novembre 2012
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